Les Traversées de Corail IV
Corail IV est un voilier de marque Corbin 39 qui a été fini et mis à l’eau au Québec en 1995. Vous pouvez trouver plus d’informations et de photos sur les sites:
Nous en sommes depuis 1997 les heureux propriétaires. Il nous a fallu 4 ans d’investissement majeurs, d’essais en mer et d’études pour nous préparer à caboter les océans.
Partis de Québec au printemps 2002, nous venons d’arriver en mars 2006 à Hawaii. Depuis, le GPS a cumulé près de 25,000 milles nautiques(mn) et nous avons complété 6 traversées de plus de 5 jours. Les principales sont :
- de Newport, RI, vers Flores, Acores, 2000 mn en 15 jours;
- de Cape Verde vers Barbade, 2100 mn en 17 jours;
- et la dernière du Panama vers Hawaii, 4355 mn en 31 jours.
Il y a beaucoup d’écrits sur la préparation du bateau et des équipiers. Nous allons donc ici insister plus sur les aspects humains de nos expériences en traversée.
D’abord pourquoi?
Pour nous, c’est une façon pour un temps de voir du pays, de côtoyer des cultures différentes et surtout de vivre localement des expériences humaines que peu d’autres moyens de locomotion permettent.
En prime, ça garde des retraités alertes et en forme. « On le demeure, ou on meurt! »
Donc le but n’est pas de faire de la voile ou des traversées. Le bateau comme les traversées sont une façon de se rendre du point A au Point B.
Ce que ce n’est pas…
Ce n’est pas difficile
Contrairement à la croyance populaire parce que ça l’a déjà été, ce n’est plus la grande aventure ou un sport extrême. La technologie a rendu la voile de plaisance et les traversées relativement faciles et accessibles à tous ceux qui veulent bien apprendre des techniques simples. Le GPS, les autopilotes, la navigation électronique et la radio HF ont simplifiés toute la navigation et le contrôle du bateau. Même la radio HF est devenue plus accessible et son utilisation avec un simple modem couplé à votre portable permet d’envoyer et de recevoir des courriels à bord et donnent accès aux banques météo.
Ce n’est pas dangereux
Encore là, la technologie lorsque bien utilisée a rendue les grandes traversées beaucoup plus sécuritaires. Elle rend possible une meilleure planification des routes et des ajustements durant le parcours. Ainsi les pires coups de dame nature peuvent être évités. Avec une balise de détresse EPIRP, déclenchée en cas d’urgence extrême, on viendra à votre aide presque partout en moins de 48 heures.
Quant aux pirates, il y en a, mais pas plus que des petits bandits à Montréal…
Ce n’est pas ennuyant
Nos derniers 31 jours en mer ont passé aussi vite que des vacances de 2 semaines.
Il y a tellement à faire et ça prend tellement de temps à faire certaines choses lorsque la mer se fâche que parfois nous sommes plusieurs jours sans pouvoir même lire des choses légères. En fait, pour la première fois durant cette dernière traversée, j’ai pu lire une partie d’un bon roman; et ce, parce que je n’avais plus le droit de pêcher; la glacière était pleine et madame ne voulait plus de sushi!
Ce que c’est…
C’est très difficile à dire, encore plus à écrire... Il est impossible de décrire une expérience si intense, unique et variée, même à ceux qui ont aussi complété de longues traversées.
Nous allons tenter de vous donner un aperçu en vous décrivant ce qui a été pour nous :
- de plus surprenant
Nous avons été très surpris par la grande quantité de travail qu’exige l’approvisionnement et l’entretien d’un bateau. En majeure partie il s’agit bien sûr de tâches agréables, mais elles sont très nombreuses et consument beaucoup de temps. On y dépense plus de la moitié de nos heures libres; l’autre moitié étant consacré à visiter et à naviguer. Par exemple dans de nombreuses îles lorsqu’il n’y a pas de quais, «faire de l’eau » i.e. remplir les réservoirs prend de nombreuses journées. La même chose pour l’épicerie et le diesel qui doivent être transportés sur de longues distances et manutentionnés à de nombreuses reprises.
- la plus grande inconnue
Serons-nous capable sans équipage de dormir suffisamment pour récupérer?
Nous savons maintenant que nous pouvons le faire incluant dans des conditions adverses. On a maintenant une routine de quarts de 3 heures durant les 12 heures de la nuit. La personne de garde doit faire un tour d’horizon toutes les 15 minutes. En se servant d’une montre réveil avec compte à rebours nous pouvons durant les périodes calmes dormir 10 minutes ici et là.
En plus, s’il fait vraiment beau et qu’il n’y a pas de trafic, le radar fait le guet aux 15 minutes ce qui permet à la garde d’encaisser un 30 minutes ici et là. Nous réussissons ainsi à cumuler 5-6 heures de sommeil ce qui nous permet avec une sieste de fonctionner normalement le jour.
- le plus difficile
Les premiers jours en mer. Il faut 3-4 jours pour que le corps s’habitue aux mouvements du bateau et aux quarts de nuit. Il faut surveiller et écouter de près ce corps qui se rebiffe afin d’éviter le mal de mer et l’épuisement. La préparation des repas est particulièrement difficile. La perte de liberté qu’exige une soumission complète à la mer et ses imprévus peut être lourde.
- le plus facile
La navigation en haute mer lorsque le waypoint le plus rapproché est à plus de 1000 mn.
Lorsqu’il fait beau, c’est d’avoir du temps pour soi et pour lire sans contraintes et interruptions externes.
- la plus grande peur
Se faire frapper par un cargo sans pilote. On a passé près, trop près, à plus de 3 reprises. C’est incroyable de constater combien de ces mastodontes naviguent sans radar avec des pilotes qui dorment.
Aussi que notre propre pilote flanche ou l’instrumentation ou un joint d’étanchéité. On apprend à ne pas y penser…
- la plus grande joie
C’est d’arriver à bon port sans pépin, en pleine forme et de se dire «on l’a fait !»
Aussi les merveilleux et nombreux spectacles qu’offrent la mer et ses habitants.
- le plus excitant
La capture et la bouffe que procure un bon poisson de haute mer. Imaginez la prise d’une dorade (mahi mahi) de 12-15 livres, un poisson très fort et combatif qui une fois capturé passe à travers un myriades de couleurs indescriptibles pour finalement vous régaler de nombreux repas dignes des plus grands chefs.
- le plus frustrant
Le claquement des voiles et les grincements du bateau qui souffre lorsque la mer reste plus forte que le vent, à chaque fois que ce dernier faiblit.
- ce que nous avons le moins aimé
Les premiers jours de navigation ou on doit se limiter à guider le bateau et à vivre. C’est pourquoi on déteste les traversées de moins de 5 jours. On n’y connaît que les petites misères et jamais les grands bonheurs.
Les manœuvres de nuit sur le pont qui sont parfois dangereuses et toujours dans des conditions difficiles.
- le plus aimé
De pouvoir lire et jouir tranquillement des beautés de la mer sans se sentir coupable d’avoir autre chose de plus importants à faire.
D’avoir l’opportunité unique d’être les seuls en contrôle de notre destinée une fois complètement soumis à la mer et ses éléments.
D’être libérés pour un temps de toutes les contraintes et contrariétés de vie terrestres. En mer :
Chaque contact avec l’environnement est naturel, harmonieux et souvent très agréable
Chaque bruit a sa raison d’être
Chaque animal a sa propre place
Chaque intervention humaine est harmonieuse avec un but commun
Chaque communication radio ou autres est voulue et souhaitée.
En d’autres mots c’est super la liberté que la mer vous donne une fois que vous vous y êtes soumis.
- notre plus grande chance
D’être deux et les deux mêmes à partager et vivre ces traversées et ce qui est encore mieux, les périodes à terre ou de navigation côtière.
Carmen & Claude Gagnon
Hilo, Hawaii