vendredi 4 février 2011
ÉTOILE DE LUNE - Dom et Nat - Nouvel An Chinois à Tahiti
Depuis quelques jours, nous sentions comme de l'effervescence dans l'air tahitien. Tous les magasins affichaient leur "sinomania". Plus possible de faire ses emplettes sans tomber sur l'incontournable rayon chinois : robes rouges, petit chapeau, pyjamas, chemises, lampions, décoration d'intérieur, vaisselles et baguettes! Tout le monde était donc prêt pour célébrer le Nouvel An chinois.
Au matin du 3 février, toutes les associations chinoises étaient sur le pied de guerre pour porter chance à leurs commerçants. Une enfilade de dragons s'entraînait à grossir les embouteillages matinaux.
La recette pour réussir cette journée est simple.
Le commerçant, sur son trente-et-un, monte sur un escabeau, il pend au chambranle de sa porte, un oignon, ou une salade,voire les deux, et il n'oublie surtout pas les petites enveloppes rouges! Puis, il attend, ou mieux, il engage une des ses nièces (la plus jolie!) à attendre. Il ne faut pas longtemps pour qu'un monstre coloré apparaisse au coin de la rue. Poussé par un bruit effroyable de timbales et de tambours, il s'avance à pas esquivés vers la boutique. Des comparses en profitent pour glisser un pétard qui éclate sur le pas de la porte. Si la fumée dégagée est rouge, c'est le bonheur assuré pour toute l'année! De circonvolutions en courbettes, le dragon pénètre dans la boutique, il hume la porte, il furète dans les rayons du magasin, s'élève jusqu'au plafond ou au contraire se tapit sur le sol. Tout cela pour finalement, happer les petites enveloppes rouges.
Au départ, le non-initié n'entend que des sons discordants, des pétarades odieuses et ne voit qu'une chose informe et colorée se mouvoir maladroitement. Puis... A la faveur d'une rencontre... Tiens, cette vieille dame qui me tire par le bras, elle s'empare de mon appareil photo et me pose d'autorité à côté de la tête monstrueuse qu'elle m'encourage à caresser. Voilà qui est fait, le cliché est correct, moi morte de rire. Elle se hisse à mon oreille pour s'évertuer à me crier la signification de tout cela. J'ai l'impression d'être sourde dans ce tapage. Mais elle s'acharne et finit par passer son message.
Les petites enveloppes suspendues aux portes des boutiques contiennent de l'argent. L'oignon signifie en chinois : "compter ou calculer". La salade est le symbole de ce qui pousse et de ce qui est en vie. On comprend qu'ils soient les atouts préférés des boutiquiers. Le dragon est chargé d'enterrer l'année qui est derrière. Et d'amener la chance, le bonheur et l'argent dans l'année nouvelle. Lui faire des offrandes, le caresser ne peut que porter chance (en tout cas, ces enveloppes drainent des petits sous vers les associations!). Le dragon, mine de rien, suit le rythme des tambours et des timbales. Heureusement qu'ils sont là, car les danseurs cachés dans le dragon ont besoin du bruit pour s'orienter. J'imagine l'inconfort de celui qui assure les pattes arrières! Courbé à moitié, le nez au niveau du postérieur de la tête... Hum, posture "délicate", s'il en est! Au moins, celui de l'avant peut respirer au travers de la bouche du masque énorme pendant que l'arrière étouffe.
Ce costume est vraiment particulier. Le "corps" est orné d'écailles brillantes, car le dragon serait, en fait, un poisson. Une carpe unique qui s'évertue à remonter une chute d'eau, haute de plus de cent mètres, celle-ci se projette, paraît-il, plus vite qu'une flèche décochée. C'est dire si la tâche de la carpe est difficile! Pourtant, celle qui y parvient, est transformée en dragon. Voilà pourquoi, cette cascade si particulière, située dans le fin fond de la Chine est nommée "la porte du dragon".
Et comme par magie, voici cette chose effrayante dans les rues de Papeete!
Les Chinois de toute la ville sont réunis pour saluer cet animal mythique, à la tête supposée d'un lion capable de nager, de marcher et de voler. Voilà pourquoi, il saute en tout sens! C'est peut-être aussi pour laisser respirer celui qui est enfoui sous l'étoffe chatoyante (?) La performance des danseurs est unique, la vieille dame me raconte que l'un d'entre eux est son petit-fils et qu'il pratique les arts martiaux, car ces facéties répétées à chaque boutique demandent de l'endurance et de l'entrainement. A force de suivre ce cortège étrange, cette bête finit par se rendre sympathique, avec ses yeux amovibles, ses oreilles qui battent et ses cils aguicheurs. Les enfants qui pleuraient à sa première apparition, petit à petit s'en approchent pour le caresser et tester le "doux-doux" de sa fourrure...
La communauté chinoise de Polynésie française représente environ 5% de la population insulaire, soit 13 000 personnes. Presque toutes ont acquis la citoyenneté française et ceci grâce à une loi votée le 9 janvier 1973. Elle le fut pour répondre à un besoin de sécurité au moment où les frontières de la Chine furent hermétiquement fermées. L'accès à la nationalité française pour les Chinois de Polynésie ne se répandit pas aux autres communautés d'outre-mer, c'est donc un fait unique. Dès lors, ils bénéficièrent des mêmes droits que les Polynésiens, et surtout de l'exonération des taxes. Cette ouverture favorisa leur fibre commerciale, et aujourd'hui, la majorité du négoce est détenu par des familles d'origine chinoise. Elles ne se cantonnent pas au commerce, on les trouve aussi dans toutes les professions libérales, dans le secteur tertiaire et (...) religieux. Ce dernier secteur prouve à quel point leur intégration socio-culturelle et professionnelle est réussie.
A vrai dire, les jeunes générations de Polynésiens, de Chinois et de Français vivent l'ère de la mondialisation, ici aussi à Tahiti. Bénéficiant d'une même éducation, les lycées, et plus tard, les universités de métropoles, sont l'occasion d'un brassage de moeurs, de points de vues... Un mélange des aspirations qui se retrouve dans une même musique, un même goût pour "les choses de leur âge". Les communautés de chaque bord (Polynésiennes, Chinoises, religieuses...) ont bien du mal à recruter les nouveaux aspirants dans la jeune génération. Par contre, autour de la quarantaine, chacun aurait tendance à revenir vers ses origines et à les prôner.
Dans ce contexte, on entend les anciens de la communauté craindre la fin des traditions ancestrales. Pour remédier à la situation, l'une des associations chinoises de Tahiti, Si Ni Tong, a voulu reconstruire un site dans lequel chaque Chinois retrouverait ses sources. Les petites enveloppes rouges, ainsi que des capitaux de commerçants et du chef de fil de Si Ni Tong contribuèrent à reconstruire leur temple, détruit en 1981 par un incendie. Le temple Kanti, rutilant de style ‘’pagode’’ traditionnel trône au coeur de Papeete. Signe de renouveaux politiques, les deux dragons, qui en gardent l'entrée, furent offerts, en 1987, par la République Populaire de Chine. Les responsables d'associations culturelles, tente d'y maintenir un certain niveau d'intérêt pour leurs coutumes et il sera à l'occasion des fêtes de nouvel an, le centre d'activités culturelles et de rassemblements importants au coeur des chinois de Tahiti.
Il n'est pas facile de faire rimer intégration et tradition... Que faire? Si ce n'est accepter une évolution normale des choses...
Ha... J'allais oublier, cette année, les Chinois fêtent l'année de "l'ennemi préféré" du marin superstitieux : le cousin du lièvre!
Suivent, dans autre courrier, les photos du temple Kanti
Nat et Dom
www.etoiledelune.net
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