Yves nous a fait parvenir ses réflexions sur la traversée Açores/LaRochelle, en voici le texte :
1er septembre …
Bien sûr avec un peu de retard …
Actuellement Marcel et Ghislaine sont encore en France pour préparer le bateau pour l’hiver et pour régler avec Dufour et Volvo les problèmes du bateau.
Par rapport à notre problème de moteur, le diagnostic final est : problème de conception du boitier de contrôle … Il semble que le problème était connu de Volvo depuis un certain temps
Bien que le trajet des Açores se soit fait en mode sauvegarde d’énergie, il n’y a pas eu de situation particulièrement difficile. On s’est rendu compte que notre besoin du frigo était assez limité et qu’on pouvait assez facilement faire sans … Pour le pilote automatique on a assez bien compensé : 1½ de barre à tous les 9 heures c’était pas la mer à boire ( surtout l’Atlantique J )… Certaine ( au singulier) a fait plus que sa part sur son quart … On l’en remercie !!!
La majorité du temps s’est passé à des allures de largue donc quand même assez confortable… en contrepartie, c’est une allure où l’éolienne charge assez peu …
Il y a eu un coup de vent juste avant notre entrée dans le golfe de Gascogne ( Bay of Biscaye pour les britanniques qui ont bataillé assez fort jadis pour le contrôle de cette région ( relire sur la guerre des 100 ans et sur le siège de La Rochelle))
Le vent s’est établi de 32à 35 Kn avec des pointes à 40! Curieusement ça s’est passé beaucoup plus sereinement que le premier coup de vent : l’équipage était plus aguerri, plus amariné et le vent était plus de travers… on a donc pu faire route assez confortablement … Ajoutons qu’avec ce vent l’éolienne est venu nous donner un coup de main et on a pu demander au pilote de faire sa part ;-)
Malgré tout, avec des vagues de 21 pieds (confirmé) l’utilisation de la cuisine mais surtout de la toilette relèvent de l’exploit sportif … Le pont quant à lui avec son enduit de sel poisseux, ressemble plus à une patinoire mouvante qu’au « sundeck » qu’on voit dans les publicités !!! Les manœuvres y ont dont été soigneusement planifiées et limitées à leur minimum. YB a malgré tout expérimenté un superbe vol plané qui, sans la présence des filières et sans l’usage de son harnais, lui aurait valu une saucette moins que souhaitée et souhaitable ( le taux de récupération d’Hommes à la mer est inférieur à 5%!).
À l’aplomb du golfe de Gascogne il y a une autoroute à bateaux : c’est une zone d’une dizaine de miles de large, délimitée sur les cartes, où se croisent surtout les bateaux qui font route entre la Méditerranée et la Manche mais aussi vers la côte ouest des îles britanniques. Au radar 12-15 bateaux presque constamment en dedans de 12 miles! Pleins de feux rouge, vert et blanc qui nous entourent et dont il est presqu’impossible de connaître la distance mais aussi dont il est difficile d’évaluer la direction … Un bateau avec seulement des feux blanc qui dérive tranquillement : c’est à nous de lui laisser la place … Parfois un cargo sort sont projecteur pour tenter probablement d’identifier ce petit écho que nous devons représenter sur son radar. Nous en profitons pour éclairer la voile avec une puissante lampe torche : c’est plus efficace que de la lui envoyer dans les yeux et ça lui permet de voir qui nous sommes …
La très grande majorité des cargos ont été très courtois : on a pu voir qu’ils s’écartaient de notre route à une distance très sécuritaire …
Pourtant … Il y en a eu un qui était en parallèle de notre course et qui a modifié son trajet pour s’approcher de nous. Parfois des bateaux s’approchent et viennent jaser sur la VHF… la vie peut être longue en mer … Celui-ci a commencé à nous parler puis s’est tu … Il a modifié encore sa route pour s’approcher dangereusement de nous en nous dépassant : nous nous sommes retrouvées dans sa vague d’étrave, probablement à moins d’une cinquantaine de pieds de lui, son franc bord faisant une mur qui nous paraissait monstrueux… on aurait pu voir l’homme de barre si le poste de pilotage du bateau avait été éclairé!
Une vague courte de 4-5 pieds avec un remous … Juste le temps de faire un virement de bord sinon il y avait collision … Le bateau passe … le vagues continuent … et c’est la poupe : on se retrouve dans le sillage avec les remous de l’hélice qui nous font tanguer et rouler dans un bout de mer complètement chaotique …
1½-2 minute? Peut-être … tranquillement la mer reprend son rythme … plus normal …
Tout le monde est rendu sur le pont … on réalise ce qui aurait pu se passer … on revoit le fil de événements … on se questionne et pourtant on ne peut arriver qu’à la conclusion que la manœuvre était délibérée de sa part! Pourquoi???
Le golfe de Gascogne a une fâcheuse réputation : ou bien ça va bien , ou bien ça va mal … et quand ça va mal …. ( Comme dirait YB : « c’est pas parce que ça va mal que ça ne pourrait pas être pire …! »)( Phrase célèbre et utilisée régulièrement à bord de Magibourg!!!) On l’aborde avec un vent portant mais Jean-Yves de Réseau du capitaine nous annonce 2 dépressions coup sur coup qui pourraient nous donner du fil à retorde … Alors que la première pourrait nous donner du vent, elle a l’avantage de nous le donner dans le bon sens et peut nous aider à améliorer notre allure. Quant à la seconde, beaucoup plus importante, elle devrait ( pourrait) redescendre vers La Rochelle et nous amener des vents de 50 à 60Kn … dans le nez!!!!!
S’engage donc une course contre la montre pour réussir à arriver à La Rochelle avant que cette dépression prévue pour le 18 au matin ne vienne nous faire vivre un bout d’enfer …
Optimiser ce que le vent actuel nous donne, ajuster un peu mieux les voiles, vérifier plus régulièrement notre allure, barrer au mieux, reprendre la météo qui nous donne a peu près les mêmes nouvelles … sauf qu’il y a discordance entre les modèles américains, canadiens et britaniques : entre le pas si tant pire et le pire que pire : on préfère ne pas prendre de chance…
Les miles s’additionnent … en fait maintenant ils se soustraient … il ne nous reste plus que … quelques centaines de miles
Et le temps file … la météo change peu …
En même temps on se rend compte que la flottille se resserre : plus d’une douzaine de bateaux dans un cercle d’une cinquantaine de miles : tous poursuivant le même but et espérant arriver avant la dépression qui rendue sur l’Irlande se fait de plus en plus menaçante… Tout le monde veut arriver avant le 18 au matin … et en même temps on sait qu’un de nos confrère est parti avec un certain retard des Açores … on pense à lui …
On calcule , on suppute, on pèse et discute de modifications stratégiques … Entrer au port de nuit? Rarement recommandé pour qui ne connait pas l’endroit … Mais on trouve une curiosité dans les instructions nautiques : l’arrivée à La Rochelle est presque plus facile de nuit que de jour ! Étonnant!!
L’atterrissage doit se faire à marée haute, de préférence avec le flot : les cartes nous montrent de multiples surfaces découvrant de plusieurs pieds … un chenal peu profond et d’à peine une cinquantaine de mètres de largeur! Heureusement la marée sera à près de 5 mètres à son meilleur … mais il n’y a pas tant de jeu que ça …
Dans la nuit du 16 au 17 … on approche tranquillement … le vent est tombé … 2 bateaux nous dépassent : ils prennent l’option d’entrer de nuit directement au bassin des chalutiers… ( là où nous devons nous rendre ) … si nous continuons à cette vitesse il faudra arriver de nuit au bassin des Minimes où il faudra se mettre à couple avec d’autres bateaux … ( imaginez-vous en plein milieu de la nuit un bateau qui arrive pour venir s’amarrer au vôtre en embarquant à votre bord pour finir ses manœuvres … on ne se sentait pas très à l’aise pour faire vivre ça à d’autres, bien que les Français nos disent que c’est normal chez-eux !!!) … Pour un des bateaux qui entre au bassin des Chalutiers c’est du connu : c’est son port d’attache … quelques discussions sur VHF, l’équipage est consulté …
On est GO pour les Chalutiers cette nuit!!!
On part la voile mécanique ( le moteur) qui ne se fait pas prier pour nous rendre service… il faut prendre bien soin de débrancher la batterie ( topo technique une autre fois )si on ne veut pas revivre notre expérience de l’arrivée aux Açores! … le balisage est exceptionnel : les bouées cardinales guident notre route et nous délimitent des chenaux latéraux d’endroits que nous aimerions bien visiter : île de Ré, île d’Aix, Fort Boyard … des noms qui résonnent d’aventures et de nos lectures de livres d’histoire …
Le chenal se profile … il y a un alignement à 059° degré et il faut le suivre scrupuleusement …. Je répète scrupuleusement! Le fameux petit chenal … Se retrouver ensablées à marée descendante n’est pas une alternative qui nous attire ( ce ne serait pas très bon non plus pour l’estime de soi du capitaine ) … Enfin les 2 feux … Marcel est à la barre, l’équipage est fébrile … on commence à prendre des photos… mais il ne faut pas oublier non plus de préparer le matériel : après ces 10 jours de traversée, les amarres et les défenses sont bien loin dans les coffres … l’alignement s’ouvre un peu … revenir sur la route… Un bateau de pêche vient croiser notre route : il est prioritaire … un petit détour … revenir sur la route et reprendre l’alignement ….
On sait où doit se trouver l’écluse du bassin des chalutiers … mais on ne la voit pas … à 06:30 ce sera le dernier éclusage de ce bassin qui permet aux bateaux de se maintenir à flot … si on le loupe , il faudra faire demi-tour pour aller attendre jusqu’à la fin de l’après-midi au bassin des Minimes …
On dépasse la bouées Richelieu… Là où le célèbre cardinal a érigé une digue lors du siège de La Rochelle …
Et on voit s’approcher les 2 tours illuminées: les gardiennes du port de La Rochelle depuis près de 10 siècles! Là où est passé Champlain mais aussi combien de nos ancêtres, combien de navigateurs, anciens mais aussi contemporains!!! Mais il faut garder l’alignement … un dernier appel à l’éclusier … on arrive à 6 :20!!! Il faut attendre 10 minutes!!! Faire des ronds dans l’eau … presque sur un mouchoir de poche … difficile d’apprécier le paysage … on se reprendra bien …
La circulation automobile est arrêtée… le pont se lève! L’éclusier nous indique vaguement d’aller dans au fond du bassin… heureusement les copains sont là … arrivés ½heure avant nous … il nous indiquent une place … déjà 7 ou 8 bateaux de la flottille battent leur pavois qu’on voit apparaître dans le jour naissant… Un coursier des mers (Cervin) avec ses tangons fixes nous oblige à manœuvrer délicatement … pas de casse! Ça ne serait pas le bon moment !
Les amarres sont lancées, les copains les tournent au taquet … on saute sur le ponton … on est arrivé… Enfin … En fin !!! il est 6heures 45 le 17 août au matin!
Bises, accolades, poignées de mains … l’émotion est à fleur de peau, la marée sur le bord des yeux…
On est fatigués mais tous trop fébriles … Bien sûr il y a le Champagne ( le moteur nous a permis de refaire un peu de froid) … un petit verre de vin … Porto sort un très vieux Rhum … On réveille les copains des autre bateaux … ils nous le pardonneront sans doute … comme aussi les autres bateaux qui eux sont ici à l’année … Ils comprendront … après cette traversée … et puis sinon …
Déjà les histoires se racontent : bris de tangon , encore une fois la bôme qui s’est tordue … les inévitables drisses perdues en tête de mât, les anecdotes, les prises à la ligne (nous ne gagnerons pas le concours c’est certain). Les équipages s’enquièrent de nos ennuis de moteurs déjà connus depuis les Açores … on parle météo, de ceux qui passent la nuit aux Minimes, de ceux qui devraient entrer dans le courant de la journée …
La fébrilité s’atténue peu à peu … les effets de la fatigue et peut-être un peu celui de l’alcool se font sentir … un petit déjeuner aux toasts avec Velveeta et Map-o-Spread en plus de la confiture de maman YB, un café et on est bon pour une petite sieste …
Un reste de fébrilité, un sentiment de plénitude, d’avoir réussi, un appétit comblé, un cerveau embrumé mais aussi plein des images de ces dernières heures … on a un peu de mal à s’endormir …. Pendant 10 minutes … mais on se relèvera vers 10 heures …
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Les autres bateaux arrivent les uns après les autres, parfois en groupe après avoir fait un stop aux Minimes… à chaque fois se revivent les émotions de l’arrivée : nous savons ce qu’ils ressentent … « content de vous revoir et de voir que vous allez bien !»… les équipages se croisent , le quai s’anime on se visite, on se donne un coup de main pour des entretiens d’urgence… « je te passe mon boyau d’arrosage » , « je t’emprunte ton multimètre », « sais-tu ou trouver en ville… », « j’ai plus de queues de poissons que toi »… « oui mais les miennes sont plus grosses… »… même les douches sont des occasions d’échange : « on a trouvé un super resto de moules… » ( vous avez le choix de l’accent)…
Le party prend sur le ponton … Ces gens qui étaient des voisins de pontons ou au mieux des connaissances sont devenus des confrères/consœurs, des ami(e)s.
C’est aussi l’occasion de constater avec une certaine tristesse qu’une traversée c’est d’abord une expérience humaine et que tous les bateaux ne s’en sont pas sortis indemnes…
Le 18 … la météo s’annonce moins pire que prévue : la dépression a finalement décidé de rester au nord … du vent, mais rien qui ne soit pas manœuvrable… Finalement notre petit dernier arrive : tous les bateaux partis de Québec sont au port, sains et sauf!!!
Il faut quand même préparer les bateaux pour l’hiver … une majorité des bateaux québécois passeront l’hiver ici en l’absence de leurs propriétaires … hiverner où? À sec? À l’eau? Beaucoup de français hivernent à l’eau … on n’est pas vraiment habitué à ça … il faut aussi penser à la sécurité … il y a des histoires de vandalisme … Mais il y a aussi les bateaux qui continuent : ceux qui vont aller en Méditerranée, ceux qui retournent vers les Antilles et se joignant à l’ARC (Atlantic Racing Cruise)… eux aussi doivent se préparer à repartir …
Mais tout le monde veut profiter des festivités qui nous ont été annoncées : réceptions par la mairie, par la région, par l’Association des plaisanciers de la marina, par le département… ( en passant une de leur spécialité : Schweppes et cognac… à essayer mais inusité …)… visite à Brouage, ville de Champlain, la corderie Royale, l’Hermione … Certains auront même le privilège de mettre les pieds sur un Joshua restauré et en état de naviguer!!! Puis l’île de Ré, le Bar-B-Q…
Mais il y avait aussi eu un party un peu spécial … suite d’une blague faite au dépend d’un équipier de Magibourg à qui on avait fait accroire qu’un Québécois s’était installé aux Açores, qu’il y avait ouvert une concession « Ashton » où on servait de la poutine, Il fallait bien faire réparation … Nathalie a fait venir de la sauce à poutine du Québec, Thérèse avait récupéré un peu de fromage en grains qui a été complété avec du fromage Français (type Cantal) (on fait ce qu’on peut …) … et avec l’aide de plusieurs bateaux qui ont épluché/coupé puis fait frire plus de 50 lbs de patates !
Notre équipier a eu SA portion de poutine mais les pontons de La Rochelle ont vécu leur premier party de poutine !!! … et la majorité des Français a trouvé ça acceptable J
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Tranquillement les équipages se dissolvent … il faut retourner pour certains, rester ou encore continuer pour d’autres…
Il en reste des photos, des vidéos, des anecdotes… Il y aura sans doute des retrouvailles, des échanges, des courriels…
Mais ce qui reste surtout, pour chacun de nous c’est la mémoire d’une Aventure
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