Salomon, Chagos
Récit no 211 - La vie sauvage des Chagos
Bon, maintenant que nous sommes remis à date sur les récits, j'essayerai d'être plus brève cette fois-ci. Nous sommes toujours dans les Chagos, en attente d'une accalmie pour se lancer dans notre navigation vers Rodriques ou Maurice. Nous visons Rodrigues mais vu la direction des vents, ce n'est pas gagné. Il n'y a pas de farces à faire avec l'Océan Indien, l'un des pires coins de la planète pour naviguer.
Avec les vents et systèmes météos qui sévissent depuis quelques temps, la mer se déchaîne, les vagues sont encore hautes de 3.5 mètres. Comme on se lance dans une navigation au près sur 1000 miles nautiques, on aime autant attendre mais nous devrions nous lancer d'ici quelques jours. Snif!! Il faudra bien se résoudre à partir un jour. C'est beau le poisson à toutes les sauces mais il vient un moment(après tant de semaines à l'écart de toute civilisation), où on commence à manquer de denrées essentielles de base.
Cette semaine, pour pouvoir nous faire une soirée spéciale de pizza, j'ai échangé une bouteille de vin pour un sac de 1 kilo de farine. Y faut c'qui faut mais ça valait la peine. J'étais particulièrement fière de ma pizza au poisson.
Franchement comme endroit sauvage, je dirais que les Chagos sont l'un de nos plus beaux coups de coeur à date.
Nous sommes actuellement huit bateaux au mouillage. Des navigateurs de partout mais surtout des Européens: des Canadiens (nous), nos amis américains (dont l'amie de Catherine), des Italiens, Autrichien, Britannique, Suédois, Néo-Zélandais, Hongrois, Afrique, Madagascar. Nous nous plaisons beaucoup dans ce groupe, à la fois aussi sociable qu'indépendant. Il y a les Italiens qui, après leur pêche du matin, passent le reste de leur journée sur la plage. De vrais Robinson Crusoe.
Comme ils n'ont pas de frigo, ils subsistent de ce que la mer a à leur offrir. Ils vont et viennent sur la plage, (parfois un peu trop modestement vêtus au goût de Catherine) et passent leurs après-midi à nettoyer, couper, partager et cuisiner leurs prises. Les bateaux arrivent un à un avec le fruit de leur pêche. Les gens sèchent leur poisson ou le font fumer dans un fumoir. Des heures de plaisir.
René et les garçons s'activent justement au fumoir sur la plage (sous la pluie), projet que nous avons débuté hier; il y a plus de 24 heures déjà. J'ai hâte de voir le résultat mais tous les essais que j'ai goûtés des autres bateaux étaient délicieux. Il faut voir les festins que se font les Italiens. De vrais cuistos, ils cuisent leur pain sur le feu de camp, galettes de poisson, curry de poisson, poisson rôti. La vie à sa plus simple expression, ça fait du bien au porte-feuille de temps en temps.
Les garçons ont pêché un requin au début de la semaine. Ils étaient pas mal fiers de leur coup, une belle bibitte! Thomas avait organisé un super système: une ligne d'acier, attachée à un arbre et une grosse roche. Finalement, le requin ne s'est pas débattu du tout; à leur grande surprise il a été plus facile à remonter qu'un poisson. René s'est battu une bonne partie de l'après-midi à dépecer ce monstre avec son couteau à la lame... pour le moins émoussée. Un cadeau de fête des Pères qui serait bienvenu je pense.
Ça sentait l'amoniaque à plein nez, c'est souvent le cas avec la chair de requin. Je ne me sentais pas très inspirée dans la préparation de mon souper, mais finalement en lisant notre bible de la pêche de façon plus approfondie, nous avons dû nous résoudre (à mon plus grand regret) à rejeter notre prise à l'eau. Le livre nous mettait en garde contre la ciguatera des requins de récifs et pointes noirs du secteur où nous nous trouvons justement. Quel dommage...de dire la cuisinière!
Les gars ont fait tout plein d'expériences avec leur requin. Nicolas a gardé les dents. Antoine voulait se faire une ceinture avec la peau. J'ai bien peur que les crabes de cocotier ont été plus vites que lui, la peau a disparu. Il y en a partout de ces crabes sur l'île, ils sont énormes!
Notre saison scolaire avance bien et tire à sa fin. Nos pêches quotidiennes continuent de nous fournir des poissons tout aussi variés que succulents. Il faut voir les mains de Nicolas. Il oublie parfois ses gants et ça ne pardonne pas. Quand ses prises sont trop grosses ou trop combatives, la ligne lui lacère les doigts mais avec Nicolas, pas question de lâcher prise.
Antoine lui s'est pris une belle culbute à genou sur les récifs lors d'une nuit de pêche à la langouste. Catherine, elle, trippe poésie, origami et lecture avec son amie américaine (Emily) âgée de 11 ans. Ensemble elles sont à rédiger leur troisième histoire de dragons. Un excellent 'match' comme amies.
Parlant de Catherine, cette semaine elle a dû jouer les coiffeuses pour me couper le 'toupet' (la frange pour nos amis les Français!) Je n'y voyais plus rien, il fallait prendre action, elle a fait du bon travail. Finalement pour ce qui est de Thomas, il profite de ce temps calme pour lire, lire et encore lire.
Les navigateurs du mouillage sont indépendants et autonomes mais en même temps, on sent une belle entraide. Il arrive souvent que les gens se partagent le poisson pêché. Après tout ce temps loin de tout, nous commençons tous à être sérieusement à cours de denrées de base. Tellement que l'autre jour, René a trouvé des gousses d'ail toutes germées, qui avaient été jetées par quelqu'un au pied d'un arbre dans le sable. Sur Cat Mousses, on ne jette rien, alors la cuisinière s'est fait une joie de cette trouvaille car ça non plus, on n'en avait plus.
Entre bateaux, il n'est pas rare que l'on s'offre une partie des plats cuisinés quand on fait trop. Ça fait plaisir et en plus, de cette façon on arrive à obtenir certaines faveurs en échange. Cette semaine, j'ai mis mon super Thermomix à profit. Comme je n'ai plus de farine, chose assez importante quand on doit cuire son propre pain, je me suis mise à moudre du riz, des corn flakes, de l'avoine, des pois chiches. Un vrai petit miracle. Il ne me manque qu'un petit potager et une poule pondeuse pour refaire mes stocks.
René lui de son côté est le porteur de nouvelles du mouillage. Certains n'ont pas de radios à ondes courtes ou d'autres ne réussissent tout simplement plus à télécharger de données météo depuis quelques temps. Comme René est le seul à y arriver, il se promène d'un bateau à l'autre avec sa clé USB pour leur offrir la météo que tous surveillent avidemment pour réussir à repartir d'ici.
Toujours pas de signe des autorités britanniques (BIOT) que nous n'avons pas vues une fois à date.
Sur ce, j'ai promis de ne pas m'éterniser, pas très réussi, mais je m'arrête ici.
P.S. Aline, Vincent, Mireille, nous vous garderons du poisson séché ou fumé ou canné...
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10 juin 2102
Après 29 jours dans ce petit coin de paradis à attendre une belle ouverture ou fenêtre météo, ce matin on se décide enfin à partir mais on n'a jamais été aussi incertains. Personne n'a envie de partir, mais pourtant il le faut. Vers 13h00, après avoir frotté la coque une dernière fois, cuisiné un coq au vin avec le seul morceau de poulet que nous avions à bord et que je gardais depuis le Sri Lanka et fait quelques cannages, nous levons l'ancre pour entreprendre cette traversée de quelques 1000 miles nautiques.
C'est loin d'être idéal comme vents mais il semble que les bonnes opportunités soient plutôt rares dans le coin, à ce temps-ci de l'année. Bref, ce ne sera pas super comfo mais rien de dangereux, juste un petit bout 'difficile' à traverser. On va tranquillement se préparer mentalement à un retour dans la civilisation, jamais nous n'avons été aussi longtemps partis.
C'était une belle expérience de simplicité volontaire à ne vivre que de poisson, à chaque repas du midi et du soir pendant un mois tout entier. Je sens qu'il va bientôt falloir dépoussiérer notre porte-monnaie, j'ai l'impression qu'on va en avoir besoin là où on va.
Les Chagos resteront à jamais gravés dans notre mémoire pour la pêche miraculeuse, le snorkeling regorgeant de poissons, raies, (même des raies manta), tortues, et même dauphins lors de nos sorties de pêche. Vivement les Chagos!
Note du capitaine: Dès notre départ, Nicolas et moi(René), (comme si la mer ne brasse pas assez) on se donne comme objectif une dernière prise aux Chagos. Nous avons eu plusieurs fausses alarmes mais aucun poisson ne se laisse tenter à notre sortie du lagon.
Coup de théâtre après 4 heures de navigation en contournant l'atoll de Peros Banhos, Nicolas voit à l'horizon un groupe d'oiseaux tout près de l'eau alors il demande si on peut remettre une ligne à l'eau, évidemment je ne peux lui refuser ça, et lui dis pourquoi pas 2!! ...(tant qu'à faire de dire maman découragée).
Quelques minutes plus tard, la ligne tribord se brise sous la pression d'un énorme, mais ENORME poisson, mais celle babord tient. On ramène rapidement une grosse bonite à ventre rayé listao qui doit faire au moins 15 lbs et un thon jaune de 5 lbs. Nous les avons eu nos derniers poissons des Chagos!! Il faut dire que la cuisinière n'était pas trop impressionnée, on devait être les seuls à pêcher dans une condition de mer semblable aujoud'hui!!
Elle qui avait pris la peine de préparer quelques repas à l'avance en prévision de la grosse mer à venir... elle allait encore se retrouver dans ses chaudrons!!
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