18 juin 2012
En navigation vers l'île Maurice
Récit no 212 - Notre traversée vers Maurice
Après nous être lancés dans la gueule du loup, vu l'état de la mer, on a vite compris pourquoi nous hésitions tant à quitter les Chagos. Après un mois arrêtés dans un paradis tranquille, le choc était... assez brutal. Le mois de juin a beau figurer comme un moment idéal de passage, je ne m'imagine même pas ce que ça doit être quand ce n'est pas beau. C'est assez violent par moments, les vagues de fou qu'on se prend et qui passent littéralement par-dessus le bateau, nous rappellent étrangement la traversée de l'Atlantique Nord. Nous sommes actuellement dans la période de l'hiver austral et on sent bien la fraîcheur que génèrent les vents qui nous parviennent de l'Antarctique. Les nuits peuvent être assez fraîches, surtout quand la pluie s'en mêle. On endure bien un pantalon long et un manteau sur nos quarts de nuit. Les enfants sont aux anges de pouvoir enfin bénéficier d'un temps plus frais. C'est vrai que ça fait du bien!
Après deux jours et demi de traversée, nous avons confirmé qu'il ne valait plus la peine de nous entêter à viser vers Rodrigue. En effet, les alizés sont bien établis et le vent souffle sans relâche avec une moyenne de 20-23 noeuds. Nous avons beau essayer de mettre le cap sur Rodrigue, les vents ne soufflent pas dans le bon sens et de toute façon on n'y tient pas tant que ça. Ainsi, ce matin le capitaine a revisé son plan de navigation pour viser vers l'archipel des Cargados, au nord de l'île Maurice. Avec des vagues de 3.5 mètres, inutile de dire qu'on se fait brasser à souhait et qu'on reçoit parfois des vagues de côté inattendues et assez impressionnantes. L'avantage de tout ça par contre, est que ce vent de côté (du sud-est) nous permet d'avancer super bien. Les moteurs, pour une fois, ne sont pas requis.
Nous avançons strictement à voile et nous faisons une vitesse moyenne qui oscille, depuis le début, entre 6 et 8 noeuds. On ne se souvenait plus que Cat Mousses pouvait avancer à plus de 5 noeuds. D'ailleurs, nous constatons que plus nous allons vite, moins on tape dans les vagues et ça c'est une bénédiction. Au début on se ralentissait en réduisant la voilure au maximum mais vu les vents qui menacent de monter dans les 27-32 noeuds (65 km-hre et plus) avec des vagues de plus de 5 mètres (pouvant atteindre jusqu'à 22 pieds), on aime mieux débarasser le plancher au plus vite. Surtout qu'un anticyclône est prévu de frapper autour du 18 juin.
Le capitaine et moi devons nous réhabituer à la vie d'oiseau de nuit, les quarts de nuit ne sont pas de tout repos. Avec cette mer, nous sommes sur le qui-vive 24 heures sur 24 et on ne peut pas beaucoup quitter la barre à cause des grains et des coups de vent qui nous frappent sans arrêt. On passe nos nuits entière postés à l'extérieur, pas question de rester à l'intérieur pour travailler sur l'ordinateur, répondre aux emails ou visionner des films, comme on le fait normalement.
De toute façon, avec cette mer, le coeur nous flancherait vite si on restait à l'intérieur. Avec ma chance habituelle, chaque fois que vient mon tour de garde, René n'est pas sitôt couché qu'un grain ou un coup de vent inattendu nous frappe. A 25-30 noeuds, la vitesse monte dangereusement et les vagues qu'on se prend font déconner le pilote automatique qui se retrouve déstabilisé et perd le cap sans arrêt. Ca n'arrive pas souvent mais le capitaine a dû passer deux nuits blanches au cours de cette traversée. Il n'est pas sitôt couché qu'une urgence le tire de force du lit. Une vraie comédie! Moi je trouve ça plutôt cocasse que ça m'arrive toujours à moi mais le capitaine lui, trouve ça moins drôle. Ha la vie de capitaine!
Les enfants sont patients et passent la majeure partie de leur temps étendus à relaxer ou à lire. Dans cette mer, faire les classes n'est pas vraiment envisageable. Ce matin les enfants m'ont confié qu'ils préféreraient toutefois faire les classes plutôt qu'avoir à subir cette mer. J'aurais dû les enregistrer, je n'en croyais pas mes oreilles! Antoine a entrepris de recoudre notre drapeau du Canada, pratiquement déchiqueté.
Bonne chance Antoine! Nicolas lui, s'est remis au tricot pour confectionner une étui pour son ipod. Catherine perfectionne ses techniques d'origami. Thomas et elle multiplient les projets les plus fous et les plus complexes de pliage. Aussi, ils lisent, dessinent et déchiffrent les paroles des chansons anglaises ( les 'hits' les plus actuels) pour les apprendre. Ils calculent avidemment le nombre de miles et d'heures restantes avant notre arrivée. Chaque mile compte, c'est la course contre la montre car on veut à tout prix arriver à temps aux Cargados, pour se cacher de l'anticyclône.
Pour les repas, les garçons se sont proclamés, lors de notre traversée, les 'cookers de la mer'. Wow! Quel beau cadeau à me faire! A chaque repas ils forment des équipes (Thomas et Antoine) ou (Nicolas et Antoine), parfois sous la supervision de Catherine. Ils nous proposent d'abord des choix de menu pour ensuite s'attaquer à la tâche.
Ils nous impressionnent et eux sont très fiers de leurs concoctions. Mis-à-part quelques petits achats très sommaires lors de notre arrêt de 24 heures aux Maldives, voilà maintenant deux mois que nous vivons strictement de nos réserves internes. C'est la plus longue période jamais passée loin de toute épicerie. On touche le fond des cales un peu partout. Les enfants semblent avoir été marqués par le film de Christophe Colomb car ils semblent très très très concernés par notre manque de fruits et légumes frais. Ils nous font bien rire en nous mettant constamment en garde contre les dangers imminents de scorbut et tentent d'intégrer le plus d'éléments nutritifs possibles dans la composition de leurs repas.
Vive les conserves mais elles également diminuent dangereusement. Cette semaine je me suis trouvée très astucieuse et débrouillarde lorsque j'ai réussi à cuisiner des muffins sans farine et sans oeufs. J'étais assez fière du résultat. Comme quoi tout est possible, vive les substituts!
Chaque nouvelle nuit apporte son lot de défis, les quarts de nuit ne sont pas de tout repos, les vents montent parfois jusqu'à 30-32 noeuds. On a beau réduire la voilure, le stress sur les voiles est énorme. L'autre nuit, en prenant mon quart, j'ai entendu un espèce de déchirement. En levant les yeux, j'ai constaté avec horreur que la grand voile était sur le point d'être sectionnée en deux. Une couture venait de céder sur un dizaine de pieds.
Vite, je réveille le capitaine (qui vient de se coucher à peine cinq minutes plus tôt). Il faut baisser la grand voile au plus vite avant que la couture ne cède sur toute la longueur, le nerf de chute pend lamentablement, ça presse! Notre journée suivante allait être consacrée entièrement à la réparation de cette voile qu'il a fallu complètement retirer pour la ramener dans le cockpit. René et moi avons passé plus de huit heures (non-stop, à deux) à recoudre la voile à la main.
Un travail de moine, nous étions assez vannés à la fin de notre journée! Nous avons remis la voile en place à peine quelques minutes avant que ne tombe la noirceur. J'avoue que j'étais assez découragée devant l'ampleur de ce projet en constatant les dégâts sur la voile ce matin-là. Une chance que le capitaine et son éternel optimisme y croyait car moi j'étais assez... sceptique.
La veille de notre arrivée, le capitaine et Billy the Fisher (Nicolas), nous ont attrapé encore deux petits poissons: une bonite d'une douzaine de livres et un thon jaune gigantesque de près de 50 livres. Incroyable! Notre plus gros poisson jamais pêché! Depuis ce temps qu'est-ce qu'on mange? Du thon! Du thon pour dîner, du thon pour souper, du thon et encore du thon. Mais c'est franchement délicieux! Quelle chance nous avons, ça va nous manquer ce poisson frais, une fois de retour à la maison. Ces temps-ci, on n'arrête pas de sécher du poisson dans le cockpit pour ne rien gaspiller. Je ne sais pas comment il arrive à sécher vu le temps pluvieux, l'air salin et les embruns mais ça fonctionne.
Finalement nous sommes arrivés juste à temps, avant la fin de l'après-midi du 17 juin, pour nous réfugier dans un mouillage dans le nord de l'archipel des Cargados. Comme protection c'est loin d'être idéal, on se fait brasser énormément car la barrière de corail offre une protection très limitée et les vents soufflent avec rage mais on remercie le ciel de ne pas être en mer.
Ça ne doit pas être joli du tout en pleine mer! D'ici au 24 juin, on pense pouvoir repartir pour franchir les derniers 250 miles qui nous séparent de Maurice. D'ici là on en profite pour se rattraper avec les classes et nous effectuons quelques travaux pour remettre le bateau en état de repartir.
Sur ce il se fait tard, nous vous reviendrons avec des nouvelles fraîches une fois à Maurice où nous attendons de la belle visite. Nous t'attendons impatiemment chère Aline!
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