Voici un bilan personnel d’un premier convoyage entre St-Paul-Île-aux-Noix et Saint-Martin. Un premier convoyage pour moi, car lors de mes voyages antérieurs, je les effectuais sur mon propre bateau (Cap-Lib) où j’en assumais la responsabilité comme capitaine et propriétaire. Jocelyne, la capitaine, est aussi la propriétaire du voilier Calbodine. Elle a une vaste expérience de navigation dont trois traversées de l’Atlantique à titre de membre d’équipage (9 personnes, dont 3 des Glénans, 3 des Blanchons et 3 du CNBG (Centre Nautique de la Baie Georgienne) dont elle a été la fondatrice avec son mari et un ami) de la première course Québec-St-Malo. De plus, elle a fait le trajet St-Paul-Antilles une dizaine de fois. Elle a donné des cours de natation à l’université d’Ottawa, elle était également responsable de la formation en plongée sous-marine. Elle a donné plusieurs cours de formation en navigation dans le cadre du CNBG. Jacquelin, son mari, qui l’a épaulé lors des préparatifs, a préféré ne pas faire ce périple et rejoindre sa conjointe à St-Martin pour une saison dans les Antilles. Denise et Reynald seront les deux autres coéquipiers. Denise est sur le point d’obtenir son brevet pour servir comme skipper sur des voiliers du CNBG basé actuellement à Aylmer (Gatineau). Reynald a déjà traversé l’Atlantique lors d’un convoyage; quelques autres traversées sont à son actif dont de St-Martin à St-Paul en 2003. Il vient de s’acheter un voilier CS36 aux îles-de-la-Madeleine qui est actuellement en cale sèche.
La première partie du voyage, entre St-Paul et Sandy Hook (New Jersey en face de New York) s’est effectuée sans problème (8 jours 6 heures) dont le remâtage du bateau à Catskill. À cet endroit, nous y avons rencontré l’équipage (4 équipiers) du voilier Sanctuary (convoyage d’un bateau de location vers les Antilles) qui devait faire un périple comme nous vers St-Martin. Ayant quitté New York vers les Bermudes deux jours avant nous, ils ont dû faire un appel de détresse (mayday) et abandonner le bateau en perdition. Un cargo hollandais a, de peines et misères, réussi à les secourir à 200 mn au large de NY.
Nous avons dû attendre huit jours à Sandy Hook avant de faire route vers les Bermudes. Pour la date de départ, les avis étaient partagés entre les membres du « Réseau du Capitaine » (équipe de radio amateur, située au Québec, au service des plaisanciers à voile à travers le monde) qui nous suggéraient d’attendre encore et Herb (météorologue d’expérience, radio amateur aussi, situé en Ontario) qui croyait que le temps était propice au départ. Ce dernier est très écouté par les voiliers américains. Sur la côte est américaine, entre Cap Atteras et Newport, une trentaine de voiliers étaient encadrés par ce dernier lors de notre voyage.
Ce sont les prévisions du Réseau du Capitaine, que nous n’avons pas suivies, qui se sont avérées justes. En plus du problème des dépressions atmosphériques à répétition, le pilote automatique nous a fait faux bond à quelques reprises (nous y reviendrons plus loin).
Sans entrer dans les détails, le trajet Sandy Hook-Bermudes s’est effectué dans un temps record de lenteur. Au lieu de prendre 4 ½ à 5 jours, le tout a duré 11 ½ jours. Après trois jours de navigation nous avons subi pendant 36 heures du mauvais temps avec des vents autour de 35 nœuds; nous avons dû établir 4 bandes de ris dans la grande voile et installer le tourmentin (voile de tempête). Les dépressions se sont succédées nous obligeant à faire de l’est parfois, de l’ouest, à dériver vers le nord lors de mises à la cap et aussi vers le sud et ce sur recommandations de Herb. Le tout donne un trajet en zigzag et nous a obligé à 5 reprises à nous installer à la cap pour laisser passer des dépressions dont la tempête tropical Sean (vent de 80 km/h et rafales à 108 km/h.) qui a passé entre nous et les Bermudes (voir ci-dessous le tracé de notre route qui ne représente qu’en partie notre trajet). Nous apprendrons à St-Martin la disparition en mer d’une dame qui a passé par-dessus bord. Son voilier faisait partie d’une flottille qui se dirigeait vers les Bermudes. La tempête tropicale serait une des raisons de cette catastrophe.
Aux Bermudes, nous avons, encore là, eu à attendre une fenêtre météo pour notre dernière destination, St-Martin. Enfin le 21 novembre, après une semaine, nous quittions cette belle île isolée dans l’océan Atlantique. À notre arrivée aux Bermudes, nous n’étions que quelques voiliers au mouillage. À notre départ il y en avait une quarantaine de plus au mouillage en attente d’une fenêtre météo.
La traversée vers St-Martin fut plus facile (voir le tracé ci-dessous qui est plus rectiligne).
Le problème important rencontré, fut l’arrêt du moteur. Une amarre de cargo d’environ 3 pouces de diamètre et une quarantaine de pieds de long est venue s’enrouler autour de l’hélice.
Moteur arrêté, avec la transmission embrayée de l’avant, il a fallu se résoudre, pour les quatre prochains jours de navigation avant d’atterrir à St-Martin, à utiliser uniquement les voiles. Pas question, en pleine mer, d’aller travailler sous le bateau. Par temps nuageux, sans vent, nous n’avons pas eu d’autre choix que se laisser dériver encore une fois en se mettant à la cap. Il faudra attendre 8 heures avant que le vent ne revienne. L’avant dernière journée de notre arrivée, ce fut une succession de grains qui pouvaient durer jusqu’à ¾ heure. Le vent changeait fréquemment de direction et de vitesse en raison de ces grains, et nous avons dû nous plier aux caprices du celui-ci. Nous avons terminé la dernière journée par vent léger plus ou moins favorable, nous obligeant à faire deux virements de bord pour enfin jeter l’ancre dans la baie de Grande Case le 29 novembre, après 8 jours et 7 heures de navigation.
Selon Serge Paul, une connaissance présentement en navigation en Méditerranée, un pilote automatique équivaut à deux équipiers. Naviguer avec pilote automatique est beaucoup plus confortable et nous avons alors qu’à assurer une surveillance au radar, un coup d’œil à l’extérieur régulièrement pour s’assurer qu’il n’y a pas de navires ou de coffres de pêcheur sur notre route et vérifier que le gréement (voiles-cordages-haubans-etc.) est toujours en bonne condition et bien ajusté.
Une journée après notre départ de Sandy Hook, le pilote automatique décroche. On prend la barre à tour de rôle ; il faudra près d’une journée avant que Jocelyne trouve le problème. Près du « flux gate » (boussole dédiée au pilote automatique) deux rallonges électriques bien enroulées influençaient ce dernier et lui faisait perdre son cap. Sitôt enlevé ces rallonges le pilote a repris sa fonction originale.
Cependant dans les jours qui ont suivi, encore un autre problème intermittent cette fois nous obligea à prendre la relève du pilote; il faudra attendre aux Bermudes pour pousser plus à fond notre analyse du problème. Nous enlevons le moteur et nous nous apercevons que l’embrayage lié au moteur est très usé. Nous changeons donc le moteur (un ancien moteur avait été rénové et conservé) pour l’ancien et espérons avoir résolu le problème.
Après notre départ des Bermudes, le pilote fait encore des siennes et de façon encore intermittente. Cette fois Jocelyne envoie un courriel à Jacquelin pour qu’il s’informe auprès des spécialistes de la compagnie sur la source du problème. On nous revient avec une analyse à faire sur le flux gate avec notre ohmmètre. Le tout semble normal et le pilote fonctionne bien lors de notre analyse. On attend que le problème revienne, on analyse et on s’aperçoit que ce flux gate est la source du problème. Un flux gate neuf étant en réserve sur le bateau, on l’installe et le pilote jouera son rôle jusqu’à la fin du voyage.
Près de sept semaines dans un espace aussi restreint qu’un bateau de 45 pieds a de quoi mettre à l’épreuve les relations interpersonnelles entre quatre personnes étrangères. Les relations interpersonnelles dans un voyage de ce genre constituent un des enjeux les plus importants. Il y a eu quelques accrocs que nous avons surmontés. Même si chacun avait ses objectifs personnels lors du voyage, l’objectif d’emmener le bateau à bon port à St-Martin a maintenu l’équipe.
Personnellement, le fait d’être le second, le fait de ne pas être le propriétaire du bateau, m’a permis d’être plus détendu et serein. Suite aux diverses embûches du voyage, je pouvais facilement sympathiser avec Jocelyne en me rappelant le stress que j’ai vécu en 2003 lors de notre traversée de l’Atlantique sur Cap-Lib.
Gros merci à Jocelyne pour cette expérience et pour son désir de partager ses connaissances, merci à Denise et Reynald pour leur collaboration.
Gros merci à Bernard qui nous a fait partager notre voyage avec nos réseaux d’amis(es).
Merci, merci Suzanne
Gérard le 9 décembre 2011
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