Une bonne réplique de l'Association Marmite du Québec sur l'émission Enquête
21 MARS 2016
LETTRE DE L’AMQ SUITE À LA DIFFUSION DE L'ÉMISSION ENQUÊTE DU 17 MARS 2016
Par Yves Paquette, en réponse à la diffusion le 17 mars 2016 de l’émission Enquête, La croisière abuse d’ICI Radio-Canada
D’entrée de jeu, l’article de Radio-Canada intitulé Un paradis fiscal à une heure de Montréal, publié le 16 mars 2016 dans la section « Économie » de son site Web ainsi que le reportage de l’émission Enquête sont présentés, à notre avis, sous un angle sensationnaliste. Il en va de même pour les deux questions posées en introduction : « Combien de taxes impayées? Combien d’argent échappe au gouvernement ? » Le ton est donné. Malheureusement, rien de ce qui suit ne peut justifier ce questionnement qui pourrait même être renversé.
Et si les règles gouvernementales en cette matière étaient les bonnes? Si au contraire, les trois niveaux de gouvernements canadiens et américains (municipal, provincial et fédéral) et, par ricochet, les citoyens, profitaient largement du commerce frontalier de bateaux, en revenus de taxes et impôts des entreprises, en impôts perçus de leurs employés et sur les services après marché?
La frustration du témoin, M. Dragoon, telle qu’exprimée, peut laisser croire qu’elle vient du fait que les commerçants canadiens profitent de la situation plutôt que les entreprises américaines ou que les Canadiens osent naviguer sur SON LAC. En tant qu’ancien douanier qui, en principe, appliquait les règles pendant x années, n’aurait-il pas dû intervenir si la pratique avait été possiblement frauduleuse comme le suggère le reportage ? D’ailleurs, l’émission se base en partie sur un échange de courriels que l’animatrice sort complètement de son contexte et qu’elle n’a pas cru bon d’analyser plutôt que d’en tirer des conclusions ambigües. Nous y reviendrons plus loin.
Nous jugeons utile, ici, de replacer toute cette question dans son contexte. D’ailleurs, l’émission Enquête reprenait en gros une partie du processus que l’animatrice qualifiait quand même de légal. Cette dernière parlait aussi de « combine » sans faire appel aux références historiques pertinentes qui permettraient de jeter une lumière bien différente sur la situation.
Retour sur quelques précisions pour fins de compréhension :
· Les acheteurs de bateaux hors taxes n’ont pas à défrayer les taxes de vente harmonisées (TPS, TVQ), c’est un fait.
· Par ailleurs, ce type de transaction est assujetti à une restriction majeure; les bateaux hors taxes ne peuvent naviguer en eau canadienne. Ils doivent en conséquence demeurer en eaux étrangères, américaines dans ce cas-ci.
· Qui plus est, les taxes seront toujours exigibles si le propriétaire désire ramener son bateau au Canada pour y naviguer.
· Cette exemption n’est pas propre à une entreprise (comme celle citée dans le reportage) ou à un territoire frontalier restreint, en l’occurrence, St-Paul-de-l’Île-aux-Noix. Elle s’applique à l’ensemble du pays.
· Le cadre légal de ces transactions est bien défini et fait l’objet d’un Mémorandum de l’Agence du service frontalier canadien, le D 8-1-1 qui en dicte les procédures et conditions.
· Les bateaux achetés hors taxes, comme les autres, doivent être enregistrés auprès de Service Canada, ce qui est le cas ici (ce qui a été confirmé par l’agente au service transfrontalier qui a été enregistrée).
· La livraison des bateaux doit se faire au poste frontalier canadien où toute la documentation requise doit être fournie : formulaire E-15, titres de propriété, enregistrement, etc. Personne ne peut plaider que ces transactions sont occultes sous une forme ou une autre. Tout est fait en conformité avec la loi.
· Le mémorandum D 8-1-1 prévoit également les modalités d’entrées temporaires au Canada de ces embarcations pour entreposage ou/et réparation. Cette opération doit se faire selon les conditions prévues au formulaire E-29B qui, lui aussi, doit être soumis aux autorités douanières et sujet à des contrôles auxquels personne ne peut échapper.
· Lors d’une entrée au Canada sous le formulaire E-29B, un cautionnement doit être fourni pour assurer le respect des conditions et le retour du bateau dans les délais prescrits.
Les règles du gouvernement canadien sont claires comme le sont celles des nombreux pays où de telles transactions sont permises. Tous les Canadiens y sont assujettis. Nous sommes à des lieux de l’échappatoire fiscal, réalisé grâce à des manœuvres occultes ou frauduleuses qui sont l’apanage des paradis fiscaux. Tout ici est fait au vu, au su et sous contrôle des autorités gouvernementales. Dans les règles. Les achats sont faits avec de l’argent propre sur lequel l’impôt a été dument payé. Loin des schèmes d’évasion propres aux paradis fiscaux.
Le reportage entretient un autre mythe en citant des chiffres mirobolants comme si la plupart des bateaux vendus appartenaient à des multimillionnaires. La réalité est toute autre. Le coût des bateaux vendus peut être aussi bas que 15 000 $ pour un bateau usagé, mais peut également s’élever à quelques centaines de milliers de dollars. Dans les faits, beaucoup de gens de la classe moyenne vont acheter un voilier, par choix, plutôt qu’une maison secondaire ou une deuxième voiture. Comme le voilier peut faire l’objet d’une hypothèque à des taux à peu près identiques à une habitation, pour une période très prolongée, les mensualités sont donc abordables. Ceux qui choisissent la plaisance comme loisir peuvent acquérir des embarcations d’une belle valeur sans être catégorisés comme « riches ». Pour d’autres, ce serait une moto, un VTT,etc. L’émission aurait pu en faire état, mais ce n’est pas très sensationnel ou ne porte pas beaucoup à la controverse.
Pour ce qui est de la portion américaine de l’équation, il nous semble que l’on a accordé beaucoup de crédibilité à M. Dragoon, douanier à la retraite, qui durant nombre d’années, aurait pu ou dû faire appliquer la loi ou faire des représentations pour qu’elle le soit si elle avait été bafouée tout ce temps. Se fier à ce seul témoignage peut paraître douteux. Une vérification auprès d’organisations telles que l’Association Maritime du Québec (AMQ) aurait pu être d’une utilité certaine.
Quiconque croit que le service des douanes américain n’est pas très astucieux et sérieux n’a jamais traversé la frontière. Le sourire et l’amabilité que les agents démontrent ne sont pas faussés, mais ils n’enlèvent rien à leur rigueur et leur perspicacité. Et on les tromperait en pensant qu’on pourrait les berner et se sauver des taxes en affirmant « qu’on arrive pour passer l’été ». Ce n’est pas sérieux.
La vente de bateaux hors taxes ne date pas d’hier. Elle existe depuis plus de 40 ans. Les services américains ont toutes les données voulues pour percevoir les taxes d’état et les taxes d’utilisation du plan d’eau. S’ils laissent aller, c’est qu’ils ont de bonnes raisons. La première est qu’une tentative légale a échoué en Cour dans les années 80. La plus plausible, aujourd’hui, est que l’achalandage des plaisanciers canadiens est une manne pour les entreprises et les marinas du lac Champlain, autant du côté de l’état du Vermont que de celui de New York, dont ils ne voudraient se passer. Il en est de même du côté canadien. La vitalité de la région économique décrite dans le reportage dépend en bonne partie du nautisme et du commerce frontalier de bateaux (nombre d’entreprises, nombre d’emplois directs et indirects, etc.). Ce qui est vrai ici, l’est aussi pour la région de Windsor en Ontario, des Milles Îles, de la Nouvelle-Écosse, de Vancouver, des Grands Lacs. Dans tous les cas, cela vaut pour le côté américain comme le côté canadien de la frontière.
L’émission s’est aussi appuyée sur l’échange de courriels entre Mme Gosselin et M. Guimond. Il faut replacer la démarche de Mme Gosselin dans son contexte. L’Agence des services frontaliers venait de décréter qu’elle serait beaucoup plus sévère pour ce qui est des cautionnements exigés des propriétaires de bateaux qui allaient rentrer au pays pour des réparations ou pour l’hivernage. D’où la première réaction de Mme Gosselin dans son courriel.
Au final, les entreprises concernées ont déposé un cautionnement parapluie pour leurs clients. Il n’y a pas eu de contournement de la loi comme le suggère le reportage, mais une proactivité autant de leur part que de la part de l’Agence. Il est pertinent de noter que, dans ce cas, l’alarme n’a pas été initialement sonnée par Marina Gosselin, mais bien par les entreprises de la région de Windsor, en Ontario, supportées par leurs associations régionale (l’OMOA) et nationale (la NMMA) tout comme l’AMQ qui a également supporté les entreprises québécoises et s’est jointe à une démarche commune auprès du bureau du ministre de l’époque, l’honorable Steven Blaney. Comme quoi, il faut être prudent en brandissant des échanges de courriels hors contexte. La démarche a été menée par l’ensemble de l’industrie canadienne.
Au vu de la situation réelle et au regard des approximations contenues dans le reportage, il nous semble que des rectificatifs devraient être apportés et publiés par la production de l’émission Enquête.
Yves Paquette
Directeur général de l’AMQ
Aucun commentaire:
Publier un commentaire