Bonjour,
A vrai dire, notre journée du 31 décembre débute mal.
Nous bataillons depuis quelques jours avec notre frigo. Il fonctionne par intermittence et lorsqu'il s'arrête, il n'est pas toujours certain de vouloir redémarrer. Ou alors quelque 12 heures de repos injustifié. Ce matin-là, il ne veut plus rien faire du tout. La galère! Comment combattre des chaleurs caniculaires pour garder du froid avec un frigo qui a décrété d'appliquer les RRT et la "zen attitude" du même coup !
Mission impossible...
Nous rassemblons dans un sac isotherme la nourriture que nous conservions précieusement dans l'antre du froid. Direction le club nautico. Là, se réunit une joyeuse bande de célibataires. Ils sont tout sourire quand j'ouvre le sac pour partager son contenu à la façon de "Mère Noel". Au moins ce jour, nous faisons des heureux!
Puis nous rentrons au bateau, résignés nous pensons passer la soirée à regarder fondre nos derniers glaçons et à boire des bulles à température ambiante soit 30 degrés.
Nous résigner ? Nous ?
Goûter du champagne chaud ?
Non, mais c'est pas du tout le genre du capitaine ! Il tourne, il tergiverse, il décide :
"Nous vivrons le passage de l'année à terre! Prenons des vacances de ce bateau qui nous fait faux bond! Aérons-nous la tête, il sera toujours temps d'aviser plus tard!" Nous délaissons donc notre Etoile sans regret et nous partons bras dessus, bras dessous vers la vieille ville de Carthagène.
Carthagène est une ville vraiment spéciale. Lorsque nous sommes arrivés et que nous sommes entrés dans cette baie fermée, comme l'arbre qui cache la forêt, nous n'avons vu qu'un alignement d'immeubles, tous plus hauts les uns que les autres. Autrefois, par ses méandres lacustres, Carthagène était surnommée "la Venise des Antilles". Je pense qu'aujourd'hui il n'est pas usurpé de la qualifier de "petite New-York caribéenne". Le mouillage destiné aux bateaux de plaisance est coincé entre un quai qui accueille une dizaine de cargos par jour et une flottille garnie de destroyers de l'armée colombienne. Dans le lot on compte un sous-marin très prisé par les pélicans du coin! L'eau est glauque et nauséanbonde. Au premier abord, nous nous demandons vraiment ce que nous faisons là. Où se trouve la magie tant décrite de Carthagène ?
A terre bien entendu !
A dix minutes à pied du mouillage, la vieille ville remparée derrière ses échauguettes et ses murs de fortification nous attend. La ville est superbe, et encore c'est un euphémisme. Ses ruelles étroites ont un charme unique. Chaque maison dorlote ses balcons andalous qui débordent de fleurs de bougainvillée de toutes les couleurs. Les murs ocres, bleu, rouges, jaunes entretiennent une atmosphère de gaité permanente. La ville affiche des airs de noblesse accentués par les dômes de plusieurs cathédrales. L'ensemble n'est pas grand, il se parcourt à pied, ... ou encore mieux... En calèche !
Pour oublier nos soucis frigorifiques, c'est ce que nous nous offrons pour le soir du réveillon. Un tour de la ville en calèche. Quel romantisme ! Ici plus qu'ailleurs une telle balade se charge d'une valeur émotive intense. Les ruelles se dévoilent à la tombée de la nuit.
Au travers des barreaux de bois qui protègent les fenêtres des maisons basses, les lumières des sapins de Noël nous enchantent. La transition entre la rue et l'intérieur des maisons des quartiers populaires est mal définie. Ces gens vivent-ils chez eux ou dehors ? Je me pose encore la question. Ces maisons me font penser aux photos que j'ai vues sur La Havane. Des maisons basses qui n'ont qu'un rez-de-chaussée, des fenêtres hautes, des barreaux de bois, des couleurs vives. Les ruelles du nord de la ville autour du quartier de las Bovedas, sont toutes agencées autour de ce type de maisons. Ici personne ne voit la mer. Tout le monde vit à l'abri des remparts qui jadis protégeaient la ville de l'avidité violente des pirates.
Notre "coché" ne parle qu'espagnol. Il crie à tue-tête les noms des différents édifices devant lesquels nous passons. Le trottinement de notre mule résonne et rebondit sur les murs de la ville. Nous revenons vers le coeur histoirique de Carthagène. Les façades de tous les édifices et les dômes des cathédrales sont illuminés.
Quelles splendeurs !
La fête de Nouvel An se prépare. De nombreuses ruelles sont encombrées de tables et de chaises. Des nappes blanches couvertes de bougies, de cotillons et de vaisselles attendent les Colombiens qui affluent pour passer ce réveillon tous ensemble. J'ai la sensation que la ville entière ne forme qu'une immense et belle famille.
Le tour en calèche se termine. C'est l'éblouissement ! Mais en même temps, la faim se fait ressentir cruellement. Nous n'avons rien réservé. Nous ne nous faisons pas d'illusion et pensons rentrer tranquillement au bateau. Mais pas avant une petite marche dans les rues effervescentes de la ville. Au hasard de notre balade, nous passons devant un hôtel particulier. La porte s'ouvre, elle dévoile un patio intérieur arboré. Les maisons du centre ville à un étage sont de réels hôtels particuliers, d'une richesse inestimable et particulièrement bien entretenus. Je rêve de pénétrer dans l'une de ces demeures. Je suis exaucée rapidement. A quelques pas de cet hôtel particulier, une porte toute semblable se présente grande ouverte.
Un restaurant ! Nous tentons notre chance.
"Una mesa por dos, por favor?"
"Si seniora, esta solamenta una mesa! Pero es dentro del restaurant! "
(oui, madame, il ne nous reste qu'une seule table, mais à l'intérieur)
Bingo! C'est notre jour de chance, nous voici au coeur d'un patio. Notre table est juste à côté de l'ancien puits de la demeure. Aujourd'hui, il déborde de plantes vertes. Une fontaine habille le décor sonore de ses notes cristallines. Un sapin majestueux montre sans fard tous les tons de Noël. Un orchestre fredonne les chansons les plus pittoresques de la Colombie. On nous propose au menu du carpaccio de poulpe ou de saumon, de la langouste en plat de résistance et une glace pour dessert!
A minuit, c'est la débauche totale. Toutes les sirènes des bateaux de la baie résonnent d'un seul son puissant et insistant. Au même instant, plus de dix feux d'artifice illuminent la ville. Les gens crient, sautent, dansent et chantent. Tout le monde se congratule. C'est la nouvelle année ! C'est le moment de grâce où chacun souhaite à l'inconnu qui passe le meilleur et plus encore...
Que demander de plus ?
Que tous, vous soyez heureux et en bonne santé.
Avec toute notre amitié marine
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