Denis et Réjane nous ont fait parvenir le texte qui ci-dessous, suite à l'agression dont ils ont été victimes à Madagascar :
Je vous propose ce petit texte qui tente d'expliquer comment on a réussi à s'en remettre suite à l'attaque des pirates Malgaches; il raconte notre fuite d'Égypte...
Le chemin de la guérison
Nous quittons Mahajunga dans un état assez lamentable profitant du fait que les vents sont prévus rester faibles dans le canal du Mozambique. Pour une fois cela nous convient parfaitement; avec nos côtes fracturées, il n'est pas question d'éternuer ni même de tenter un éclat de rire, alors il est encore moins question de se lancer dans les manoeuvres athlétiques exigées par une forte mer.
Le vent coopère tellement bien à notre rétablissement que durant les douze premiers jours nous enregistrons notre plus basse vitesse moyenne depuis notre départ de Montréal, soit moins de 3 kts, et ce, malgré l'utilisation intensive du moteur durant les premiers jours afin de prendre rapidement nos distances de la côte Malgache.
Nous avions été prévenus par un ami Québécois que nous connaîtrions une plus ou moins profonde dépression suite à l'agression que nous avons subie. En effet, durant toute cette longue période de mer tranquille, il nous est impossible de nous débarrasser de ces pensée par lesquelles nous repassons obsessivement et de façon détaillée le scénario de l'attaque en nous échafaudant toutes formes de variantes qui nous auraient permis de nous en tirer ou de tout simplement de nous venger de cet inacceptable abus de force.
Nos sentiments alternent entre la culpabilité de ne pas avoir su nous défendre, ou du moins de ne pas avoir su prévenir cette éventualité, et la satisfaction mitigée de s'en être tirés vivants, sans trop de séquelles physiques, compte tenu des circonstances. On a beau se féliciter de s'en être sortis mais c'est insuffisant pour nous libérer de la profonde frustration d'avoir été blessés et dépouillés en affichant un demi-sourire pour ne pas déplaire à nos agresseurs. Nos blessures
physiques guérissent plus facilement; j'enlève moi-même mes points de suture, seules nos douloureuses côtes réclament toujours vengeance!
Nous ne sommes plus seuls à être affectés par les dépressions, notre environnement aussi; nous avons eu beau cheminer avec lenteur que nous avons dépassé le 23eme parallèle Sud et de ce fait avons quittés la zone tropicale. Tout comme au Canada, nous naviguons désormais sous le régime des dépressions météorologiques et des fronts froids malgré que ceux-ci nous arrivent du grand Sud; belle consolation!
Suite aux prévisions météo maritimes obtenues par la radio HF, nous devons, à deux reprises, nous réfugier dans des mouillages profondément encastrés dans la côte du Mozambique pour nous protéger du nouveau (pour nous) et dévastateur "south westerly" . Presque toujours accompagné d'un ou de plusieurs fronts froids, il souffle énergiquement après le passage de chaque creux dépressionnaire. Ce vent phénoménal que nous devrons surveiller jusqu'a Capetown souffle contre l'important courant des Aiguilles soulevant une mer monstrueusement dangereuse avec souvent des vagues de plus de dix mètres.(vous avez bien lus)
À la première occasion, nous nous sommes réfugiés dans l'embouchure d'une petite rivière aboutissant dans la baie de Ihambané. C'était notre premier mouillage sans la protection des "kalachnikoff" Nous n'avons presque pas dormi; nous étions isolés et le traffic des pirogues autour du bateau n'était pas très rassurant. À la deuxième reprise nous nous dirigeons vers l'embouchure du "Rio Espirito Sancto", siège de la capitale du Mozambique; Maputo. Nous avons absolument besoin de prendre
cette pause nous; nous sentons fatigués et déprimés. Nous ne rêvons que de planquer le bateau dans un endroit protégé à tout point de vue et de dormir...dormir...
Après avoir louvoyé sur trente cinq kilomètres entre les haut-fonds d'une vaste baie, nous pénétrons dans le seul enclave protégé du coin; le port de pêche de Maputo . Il est très crasseux et déjà encombré d'épaves, malgré qu'il soit de facture récente et moderne; c'est un cadeau des Japonais qui achètent la presque totalité de leur prises de poissons sans toutefois en importer l'odeur; décidément les préoccupations environnementales sont l'apannage des pays riches. Nous sommes quand même heureux de nous y réfugier car le redoutable "South westerly" rejoint Maputo en même temps que nous y entrons.
Maputo, cette Beauté Portugaise Africaine de l'époque coloniale, n'affiche plus aujourd'hui que les profondes cicatrices de trente années de guerre civile et la corruption y est institutionnalisée à tous les niveaux. Dans ce pays, reconnu comme l'un des plus pauvres du continent Africain, les pâles étrangers sont considérés comme responsables de tous leurs maux et de ce fait, sont perçus comme des pigeons à plumer.
Nous ne sommes pas aussitôt amarrés au seul endroit disponible que la police du port déboule agressivement dans notre bateau nous cherchant visiblement des poux. Ils se comportent exactement comme nos pirates; Ils farfouillent partout, questionnent et réclament nos documents, permis et passeports et même d'autres papiers tout a fait absurdes, histoire de nous prendre en défaut et de nous coller une amende qui ira arrondir les revenus de la force constabulaire locale.
Ils nous faudra bien trois bonnes heures d'explications à travers un anglais très approximatif, à défaut de portugais, langue officielle, avant que ceux-ci réalisent qu'ils ne nous soutirerons rien et que c'est nous qui attendons quelque chose d'eux. En effet, nous nous sommes présentés à cette escale imprévue en réclamant assistance au pays.
Suite à notre piratage, nos réserves de carburant étaient devenues insuffisantes pour nous permettre d'esquiver un autre mauvais coup de vent avant d'atteindre Richards Bay en Afrique du Sud. Il faut les comprendre, ils n'admettent pas facilement se faire usurper leur rôle traditionnel. Malgré leur scepticisme, ils finissent par prendre notre requête au sérieux après que nous leurs ayons produit toute notre documentation relative à l'affaire jusqu'a nos prescriptions d'antibiotiques.
Notre patience, surtout celle de Rejane qui ne cesse de m'inciter au calme, est finalement récompensée; Luis, un jeune gradé de la Police du Port, décide de nous prendre en charge. Il commence par évincer les opportunistes qui avaient déjà commencés à s'agglutiner autour de nous puis, nous pilote à travers une lourde machine administrative afin de régulariser notre situation.. Il se permet même d'élever le ton avec les fonctionnaires contrariés d'abdiquer devant de si vulnérables pigeons. Ce fut notre premier "Ange Gardien" de Maputo.
En fin de journée, Nous nous retrouvons à couple d'un petit ferry privé et entourés de toute part par la flotte de chalutiers peu rassurants qui rentrent à chaque soir. Dans cette enclave, l'eau est sale mais calme, la sécurité y est acceptable et nous pensons bien y retrouver le sommeil réparateur qui nous fait actuellement tant défaut. Mais non! le moindre bruit nous fait sursauter et nous nous réveillons tout aussi fatigués que la veille! Nous apprenons bruyamment que les chalutiers commencent
à manoeuvrer à quatre heure du matin et que deux heures plus tard le dernier quitte pour prendre la mer.
Nous réalisons que nous sommes beaucoup plus isolés que nous le pensions lorsque, vers huit heure, nous tentons de contacter par radio le réseau des navigateurs appelé ici le "Peri Peri net". Du à une distribution électrique défaillante ou à l'utilisation d'appareils hors normes dans notre environnement, il se trouve une telle tempête de parasites sur les onde radio que notre HF est inutilisable.
Il nous est donc impossible d'obtenir les prévisions météorologiques indispensables pour pouvoir planifier la suite de notre navigation vers l'Afrique du Sud.
Nous nous rendons en taxi, le lendemain au Club Naval de Maputo dans l'espoir d'y cueillir nos précieuses informations météo mais quelle déception; c'est un club social très sélect accroché à un petit bassin inaccessible par manque d'eau et dont une bonne partie des membres n'ont jamais posé le pied sur un bateau. Nous y rencontrons toutefois notre deuxième ange gardien. Il s'agit de Francis Pietro, un philanthrope retraité, ex PDG d'une banque Allemande, toujours propriétaire d'un château en Espagne et d'un voilier dans les Baléares et qui, installé ici depuis six ans, se consacre à l'implantation de projets humanitaires en milieu rural.
Il nous ouvre sa résidence nous permettant un accès illimité à internet, nous fait cadeau d'un téléphone cellulaire, et nous propose de nous emmener visiter l'hopilal qu'il est en train d'ériger en pleine brousse. Qu'a cela ne tienne..
Deux jours plus tard il vient nous chercher à bord de la camionnette 4x4 de la fondation "Aventura Solidarité" pour nous sortir des sentiers battus et nous donner l'heure juste sur la profonde Afrique noire. Après avoir parcouru une quinzaine de kilomètres sur une autoroute encombrée(cadeau de je ne sais plus trop quel pays), la voie se dégrade rapidement; le premier embranchement que nous empruntons est étouffé sous un bric à brac branlant ou l'on propose essentiellement des produits avariés,
la première qualité étant destinée à l'exportation.
Il y a bien quelques vendeurs, mais plus souvent ce sont des vendeuses entourées de leur progéniture qui sont assises ou étendues près de leur maigre étalage (genre trois patates passé date), figées dans une résignation inquiétante marquée d'un regard éteint; c'est désolant à voir. Quelques kilomètres plus loin et la route n'est plus qu'un piste à sens unique qui louvoie à travers une végétation assez clairsemée et quelques petits arbres épars.
Nous labourons deux ornières profondément marquées dans un sable sec ultra-fin ne permettant pas à une voiture conventionnelle de s'y aventurer sans s'embourber immédiatement. Nous avons toutes les difficultés à nous en extraire lorsque se présente devant nous le "transport en commun"; Jamais nous n'aurions cru qu'une telle population puisse trouver place dans la benne de ce vieux camion 4x4. Ca tient du voyage de foin; arrondi au sommet et débordant de chaque coté. Pourtant, tout au long du parcours, des gens continuent de réclamer de privilège de s'insérer dans cette botte d'asperges où, la promiscuité à depuis longtemps été bannie de l'ordre du jour.
En bordure de cette inconfortable piste nous cotoyons de petites huttes tressées et coiffées de paille, quelques rudimentaires structures de tôle rouillée et de petits lots visiblement bêchés à la main où tentent de survivre des pousses de mais, de manioc et d'autres cultures qui nous sont inconnues. Nous passons quelques petits villages et plus nous nous enfonçons plus Francis semble connu; on le salue de toute part.
Nous débouchons finalement après une heure de torture dans un espace dégagé et
clôturé où s'étirent quatre grands bâtiments vert et blanc surmontés d'un château d'eau et de panneaux solaires; ça tranche sérieusement dans le décor. Au milieu de cet aire se retrouvent une cinquantaine de personnes qui ne semblent pas attendre grand chose de la vie. Elles se sont installées tant bien que mal par terre sous le couvert de deux manguiers géants.
L'attente résignée semble être un état permanent chez les peuples africains: On attend la chance, l'aide, la saison des pluie, la guérison,le client ... même la mort, et ce avec une passivité déconcertante. Nous sommes entrainés vers le dispensaire par Francis qui doit briser une longue file d'attente afin de nous présenter à la directrice du centre. Nous découvrons une jeune et dynamique religieuse catholique sous le couvert d'une fort jolie infirmière. Elle est débordée mais ne se départi pas d'un sécurisant sourire qu'elle distribue aussi efficacement que les médicaments à cette population qui, parait-il, est animée d'un vague espoir de guérison magique.
Nous filons par la suite vers l'orphelinat. Nous y sommes accueillis par une trentaine de petit noirs qui ont entre quatre et six ans et qui semblent tous sortis du même moule. Ils nous récitent en choeur leurs voeux de bienvenue puis nous submergent tentant de contacter notre pouce avec le leur; c'est leur façon de saluer! On est triste pour ces enfants qui ne connaîtrons jamais la vie familiale mais nous devons admettre que leur espérance de vie, dans ce milieu sain, devrait nettement se situer au dessus de la moyenne nationale qui n'est plus que de 37ans.
Notre dernière visite est pour l'obstétrique; Une seule des quatre chambres est occupée par une jeune maman qui allaite son nouveau-né. Malgré tous les avantages, accoucher dans une centre n'est pas encore entré dans leurs moeurs. Mais, il y a à faire et me voici en train remonter une table d'accouchement avec des boulons mal adaptés. Celle-ci provient d'un hôpital européen qui a dédié de rajeunir son mobilier mais ici elle fera très bien l'affaire.
Notre guide qui a depuis le début estimé mes compétences en profite pour faire la tournée des problèmes techniques qui le préoccupent; ici c'est un "three way" qui ne fonctionne pas, là c'est la pression d'eau qui chute anormalement..etc. Il finit par me laisser entendre que ..si jamais j'avais le goût de me perdre dans le coin, ça ferait bien son affaire; les gens polyvalents sont rares par ici. Par besoin de me déculpabiliser, je culbute rapidement cette proposition en farce, ne supportant surtout pas d'envisager une telle vocation tardive.
A notre retour, nous ramenons une jeune victime du paludisme vers l'hopital de Maputo. Nous n'avons pas encore parcouru cent mètres que nous devons nous arrêter pour nous débarrasser de milliers de fourmis vertes qui nous attaquent férocement. Leur nid est tombé de l'arbre sous lequel notre camion était stationné et elles ont la morsure douloureuse. Il faut rapidement porter secours à notre malade qui est trop faible pour s'en défendre.
Vraisemblablement dans le but de nous achever, Francis revient à Maputo via le dépotoir municipal. Nous roulons sur plusieurs kilomètres en longeant des empilages de produits recyclés ou devrais-je dire simplement récupérés que l'on propose aux passants. C'est grouillant de monde malgré l'insupportable odeur qui se dégage de l'océan de dunes d'immondices qui déferlent autour de nous."Plus de dix milles personnes vivent ici et y tirent leur subsistance quotidienne". nous confie Francis.
Dans ces conditions, je me dis que pour plusieurs, le rat doit souvent revenir au menu du jour. Il y a toutefois suffisamment d'acheteurs pour provoquer un embouteillage duquel nous finissons par nous extraire après avoir emprunté de longs et inquiétants "raccourcis". Une brève escale à l'hopital, et nous voila heureux de rentrer au bateau.
Confortablement enfouis dans notre cocon, nous nous repaissons longuement des images saisissantes de cette journée exceptionnelle. Il nous faudra un certain temps pour réaliser qu'elles ont réussies à inhumer nos obsessifs scénarios de piratage. Durant les premières heures de cette escale, notre moral avait chuté au plus bas; Nous considérions que nous nous étions réfugiés directement dans la gueule du loup avec toute l'innocence naïve dont nous savons faire preuve.
Ce nouvel éclairage vient de changer radicalement notre perception de la situation. De quoi avons nous vraiment à nous plaindre? Dans ce contexte, notre situation reste des plus enviable ... surtout depuis que notre mal de côte s'est résorbé.
Notre plus grande hérésie a été d'oublier pendant un moment que l'on croise des "anges" ou que l'on soit, il suffit d'être attentifs.
Denis
1 commentaire:
Bonjour Réjane et Denis,
Le commentaire arrive quelques mois plus tard, mais n'en a que plus de valeur.
Ouf! Saisissant. Je ne savais pas que Denis avait des talents d'écrivain en plus de navigateur, pilote d'avion, concepteur mécanique, pédagogue, mécanicien d'aéronef et d'ami.
J'espère que votre journal de bord est détaillé. Il serait précieux pour un éditeur quand vous serez vieux et fatigué, dans 20 ans au moins...
Heureux de vous retrouver.
Prenez bien soin l'un de l'autre. Méfiez vous autant de la côte ouest de l'Amérique que de la côte ouest de l'Afrique.
Très amicalement
Michel
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