Objet : Guerriers, navigateurs, l'histoire des Maohis dépasse toutes les légendes de notre monde
Koaha,
J'ai tant de choses à vous raconter. En une semaine nous avons vécu tant d'expériences nouvelles que nous avons la sensation d'être arrivés il y a fort longtemps...
En pénétrant dans la baie de Hanavave, à Fatu Hiva, nous changeons de monde. Nos repères sont à réévaluer en permanence au contact d'une population à la fois ancrée dans des survivances ancestrales et désireuse de profiter des avantages de ce nouveau siècle. Cela donne un curieux brassage entre modernité et tradition où l'art païen se plie aux imprégnations d'une ferveur catholique surannée. Cette population, rendue amnésique par les colons européens décline, aujourd'hui, aux sons d'accents rugueux, une convivialité légendaire mariée à une avidité pécuniaire en éveil.
Avant de vous parler de notre vécu, j'aimerais conter l'histoire unique de ce peuple. Vous me direz que nous sommes sur un bout de terre où flotte le drapeau français, et que rien ne devrait nous étonner. Mais, leurs ancêtres ne sont pas des guerriers gaulois à grosses moustaches rousses. Ils ont démarré la grande aventure pacifique en des temps, où Néandertal fabriquait des objets « inutiles » en ossements. Plus tard, au moment où Cro-Magnon dessinait des bisons dans des cavernes, les Maohis poursuivaient leur avancée sur le grand océan et touchaient des archipels tels que les Salomon. Ils s'installaient aux Fidji tandis qu'on ne parlait pas encore de la Gaule et de ses guerriers qui imaginaient que la mer était plate comme une table et qu'au bout de l'horizon l'homme tombait dans un grand vide effrayant.
Ici, nous sommes sur une terre de navigateurs hors pair qui ont bravé le plus grand océan du monde. L'océan Pacifique occupe 40 % de la surface du globe. Il représente à lui seul, 57 % des mers de notre belle planète bleue. Il est plus grand que l'Atlantique et l'océan Indien réunis. Si l'océan s'étend sur 180 millions de kilomètres carrés, les terres émergées ne représentent que 120 000 kilomètres carrés. L'océan Pacifique est un monde fait d'îles qui se dispersent à l'écart des cinq continents qui le bordent : l'Arctique, l'Antarctique, l'Amérique, l'Asie et l'Australie.
Pour étalonner vos repères de distances, en voici quelques-unes : l'île centrale de Tahiti est à 9500 km du Japon, 6400 km de la Californie, 7000 km de l'Antarctique, 8000 km du Cap Horn...
A l'intérieur de ce vaste désert aquatique s'éparpillent trois groupes d'archipels que sont : la Micronésie, la Mélanésie et la Polynésie. Par étymologie, « Polynésie » signifie « îles nombreuses » et pourrait, tant sur un plan géographique qu'ethnique, regrouper toutes les îles de l'océan Pacifique. En effet, il est aujourd'hui admis que toute la population insulaire du Pacifique est issue d'un même creuset. Leur peuple est le fruit d'un mélange de races caucasoïdes, mongoloïdes et négroïdes originaires du sud de la Chine et de l'Insulinde.
Attention, ne confondons pas les Maohis et les Maoris.
Les Maoris sont les descendants des Maohis. Les Maoris font partie de la dernière vague de colonisation du Pacifique et se cantonnent à la Nouvelle-Zélande. Les Maohis sont les habitants de Polynésie centrale et occidentale. Le terme "Maohi" se compose de deux mots qui semblent contraires et dont la signification globale illustre tout à fait ces hommes courageux qui se sont élancés sur l'océan. Le mot "ma" signifie "pur, propre, libre et digne" tandis que le mot "ohi" désigne un rejeton qui a pris racine. Un Maohi est donc "un être libre, qui malgré son autonomie reste attaché par ses racines à sa terre d'origine". Le terme "Austronésien" regroupe l'ensemble des populations migratrices issue d'Asie. Elles font partie du groupe ethnolinguistique le plus étendu au monde. Ils occupent un vaste territoire compris entre Madagascar, les îles Hawaii et l'île de Pâques.
Les premiers groupes délaissèrent le continent asiatique, au cours de l'ère du néolithique, il y a 50 000 ans. A la faveur d'une période glaciaire, ils profitèrent du bas niveau de la mer pour multiplier les incursions sur les terres du Sud et de l'Est. En quarante mille ans, ils investirent la Malaisie, la Nouvelle-Guinée, l'Australie, la Tasmanie et les premiers archipels du Pacifique que sont les Bismarck et les Salomon. Ces voyageurs des premiers temps empruntèrent des voies à la fois terrestres et maritimes. Ils traversèrent des bras de mer d'une centaine de kilomètres, ce qui devait nécessiter des techniques de navigation avancées qui interpellent encore aujourd'hui nos Historiens. Impossible de décoder les indices du passé afin de comprendre ce qui poussait ces continentaux à s'élancer sur l'océan.
Les climatologues décodent certains signes du temps pour aider les Historiens. Ils décèlent un réchauffement de notre planète vers 10 000 ans av. J.-C.. Les voies terrestres sont alors immergées, des archipels apparaissent en mer de Chine, au Japon et aux Célèbes. La Tasmanie et la Nouvelle-Guinée se séparent de l'Australie. Cette nouvelle physionomie du bassin pacifique contribue à isoler les populations qui se voient désormais contraintes d'évoluer sans plus de retour vers leur terre d'origine. Chaque groupe d'îles fonctionnera en autarcie et développera son mode culturel ainsi qu'une nouvelle génétique se dissociant peu à peu du creuset originel.
Vers 7000 ans av. J.-C., une nouvelle vague d'Austronésiens s'élance sur l'océan. Ils réalisent leurs premiers exploits maritimes. Ils naviguent sur des pirogues à balancier dans le détroit de Taiwan, ils poursuivent leur route vers le soleil levant et occupent tour à tour, les Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie et les Fidji.
Pour aider les Historiens dans leur jeu de piste, les Maohis, laissèrent derrière eux des vestiges de poterie dite « Lapita » (du nom du site où les premiers tessons ont été trouvés en Nouvelle-Calédonie). Partout sur les îles des différents archipels, des poteries « lapita» ont été trouvées et témoignent d'une origine commune des premiers habitants de Polynésie.
A partir de 1500 av. J.-C., les habitants des Samoa, des Tonga et des Fidji, à leur tour, se démarquent de leur culture d'origine et poussent leurs pirogues plus loin vers l'est. En 1300 ans toute l'actuelle Polynésie française des îles Marquises aux Gambiers, en passant par les îles de la Société, les Tuamotu et les Australes sont colonisées.
Ainsi, nos chères Marquises furent peuplées dès l'an 200 av. J.-C..
Réalise-t-on à quel point les Maohis furent les précurseurs des navigateurs des temps modernes?
Pour rappel, la première mention avérée de la boussole à des fins de repérage se situe au Xe siècle de notre ère, soit 1200 ans après que les Maohis aient colonisé une grande partie des îles du Pacifique. Ces guerriers navigateurs ont parcouru des surfaces d'océan aussi grandes que l'Europe occidentale. Pour vous donner une idée, superposez les cartes du Pacifique et de l'Europe. Si Tahiti est à hauteur de Paris, les Marquises se trouvent en face de la Suède, tandis que les Gambiers sont à Varsovie et les Australes à Rome...
Les esprits scientifiques argumentent leur avancée en nous rappelant que les archipels tissent un réseau d'îles qui ne sont finalement « pas très éloignées » les unes des autres. Les plus grandes distances parcourues avant le 2e siècle sont de l'ordre de 500 milles nautiques. Mais à partir du 2e siècle, les Maohis parcourent des distances dépassant les 3000 milles nautiques. Ils rallient sans escale possible, les îles Hawaii, l'île de Pâques, mais aussi la Nouvelle-Zélande. Par ces trois territoires s'achève la fuite vers le soleil levant.
Malheureusement, les Maohis n'ont laissé aucun fil d'Ariane afin de remonter jusqu'à eux. Personne n'a jusqu'ici découvert leurs secrets de navigation ou même compris leurs motivations.
Leur histoire se perpétuait par voie orale. En débarquant dans les îles, au seizième siècle, les missionnaires européens ont coupé le fil de la transmission séculaire. Un savoir, une culture, une langue ont été perdus dans les nimbes de la loi du silence imposée par les religieux.
Une des grandes questions sur cet exode dans l'océan est :
« La colonisation des îles du Pacifique fut-elle accidentelle ou intentionnelle ? »
Les scientifiques ont tendance à répondre qu'elle fut désirée. En effet, les reconstitutions historiques tentent à démontrer que les Maohis partaient sur des pirogues d'une trentaine de mètres au centre desquelles une « cabane » abritait une centaine de personnes ainsi que des animaux domestiques (cochons, poules, chiens et chats) et des racines (taro, ignames...). Les équipages partaient avec des vivres et tout ce qui leur était nécessaire à un nouvel établissement. Ce n'étaient pas donc pas des pêcheurs égarés.
Longtemps, les Européens ont cru que les peuples d'Océanie étaient originaires du continent américain. Thor Heyerdhal fut le dernier à appuyer cette thèse. Il est vrai qu'il est plus logique de penser que les navigateurs se laissaient portés par les vents et les courants plutôt que de les affronter à contre sens. Mais la présence dans les îles de plantes et d'animaux a pu déterminer que les Maohis venaient de l'ouest et non de l'est. Les cochons et les poules n'existaient pas sur le continent américain au moment où les Maohis commencèrent à se répandre dans les îles du Pacifique. De plus, les chiens et les rats retrouvés en Océanie, n'appartenaient pas aux mêmes familles que celles du continent américain, mais bien à celles présentes sur le continent asiatique.
Comment ont-ils pu naviguer contre vents et courants ?
Là encore, les climatologues nous offrent une réponse. Pendant les vagues de réchauffement de la planète, les alizés faiblissent. La première eut lieu vers 10 000 ans av. J.-C., la seconde apparut autour 400 apr. J.-C.. C'est à cette période que les îles les plus isolées (Hawaii, Pâques, Nouvelle-Zélande) furent colonisées. Vers 1400 de notre ère, un nouveau refroidissement impose des conditions plus difficiles, et tarit le flot migratoire.
Autre question : Comment se dirigeaient-ils ?
Les peuplades circulaient entre les îles et les archipels, opérant de fréquents retours, vers leur contrée d'origine afin de pourvoir aux approvisionnements nécessaires à leur installation. Par la suite, lorsque leur adaptation à une nouvelle contrée était consommée, ils coupaient les liens avec la « patrie d'origine». La surpopulation, vite atteinte sur ces petites îles, les poussait à se tourner constamment vers de nouveaux territoires à conquérir.
Les flux de population prouvent qu'ils savaient retrouver « leur route » sur le vaste océan. Rien, ni personne ne peut avec certitude dire comment ils s'y prenaient. Tout au plus, peut-on dire qu'ils étaient doués d'un sens aigu de l'observation. Les étoiles, le soleil, la lune, les nuages, leur parlaient autant que le font nos GPS d'aujourd'hui. Et avec une précision qui suscite l'admiration.
Vous me lisez, et je sens le doute planer dans vos esprits.
Pourtant, rien de cela n'est de l'ordre de la légende. Plus personne ne se raconte les temps immémoriaux où les Maohis étaient de valeureux navigateurs. Malheureusement... Car plus personne ne raconte, comment, ils s'y sont pris. Le doute plane, les esprits rêvent, les théories s'emballent. Cet amas de connaissances oubliées, tapies derrière un épais rideau de secrets a engendré le mythe polynésien qui aujourd'hui fascine encore les voyageurs...
A bientôt, de vous raconter, danses, art ancestral du tapa...
Nat et Dom
www.etoiledelune.net
Cet article fera partie d'un grand dossier "Polynésie" qui est en préparation et sera mis à disposition dans les sites internet du Réseau du Capitaine et de l'Etoile de lune. Lors des mises à jours, il sera complété de photos et de cartes que je ne peux envoyer avec les moyens de communication du bord.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire