NOUVELLES D'HAITI ...

Marie-Claude est médecin bénévole et amie du Dr. Yves Lambert, navigateur et ami du Réseau du Capitaine :

Bonjour à tous et toutes,

Je vous écris pour vous donner des petites nouvelles…après 12 jours passés en Haïti…déjà 12 jours…

Je ne sais trop par où commencer…et je ne sais trop quels mots utiliser…j’ai parfois l’impression que les mots n’ont pas la force de décrire l’indescriptible….qu’ils ne peuvent rendre justice à la réalité…ou peut être que c’est moi qui n’a pas la force de trouver les mots justes…je ne sais pas…

Alors voilà, ce seront les mots qui me viennent à l’esprit à l’instant où j’écris…

La première chose qui frappe lorsqu’on arrive ici c’est l’étendue de la destruction…l’étendue des ravages…l’étendue de la catastrophe…c’est tout simplement inimaginable…c’est tout simplement épouvantable…

Le Palais National…immense…complètement affaissé…écrasé…frappe évidemment l’imaginaire et donne une idée de la force incroyable du tremblement de terre…mais les bidonvilles construits à flanc de montagne…qui ne sont plus que ruines et désolation…qui ne sont plus que fracas…te glacent le sang…te figent…le cœur arrête de battre un instant avant de repartir…sans oublier…

Et il y a les camps…les camps et les bidonvilles où s’entassent des milliers de personnes dans des conditions tout simplement inhumaines…les gens dorment souvent à même le sol…dans la terre battue….dans la boue depuis la pluie…dans le froid la nuit…sous des toits improvisés….avec des toiles ou de la taule trouées…parce qu’il n’y a pas assez de tentes pour tout le monde…pas assez de tentes pour tous les déplacés…les sans toit…tous ceux qui ont vu s’écrouler leur maison...en quelques secondes…tuant trop de gens et estropiant les autres…laissant des enfants sans parents…des parents sans enfants…disparus violemment sous les décombres en l’espace de quelques secondes…

Il n’y a plus de corps dans les rues…il n’y a plus d’odeurs de cadavres…il reste les décombres…la destruction…les déchets qui s’amoncèlent dans les rues, les ruisseaux d’excréments…mais il reste surtout les gens pour qui la vie continue malgré tout…à chaque jour à chaque instant…une jambe en moins….un enfant en moins….un bras en moins….une mère en moins….ils continuent de vivre….avec force et dignité…avec le sourire…ils sont impressionnants à voir…impressionnants à côtoyer…

Avec Médecins du Monde, nous travaillons à l’hôpital CHOSCAL au cœur de Cité-Soleil, énorme bidonville de Port-au-Prince, où nous sommes installés dans une petite paillotte dans la cour de l’hôpital…les haïtiens refusent toujours de travailler à l’intérieur ou de dormir à l’intérieur…tout se passe sous des tentes…tout…

Nous partageons la cour de l’hôpital avec MSF….qui ont plusieurs grosses tentes où ils s’occupent principalement de l’orthopédie (toutes les amputations, les traumas, les plaies par balle, etc.) et de l’obstétrique. Suite à discussion avec eux (parce qu’évidemment le partage du terrain par les ONG ne se fait pas si facilement… ), nous nous occupons de la pédiatrie et des maladies infectieuses…et croyez-moi, il y en a à la pelletée…et cela ne fera qu’augmenter au cours des prochaines semaines vu les conditions de vie, la saison des pluies, la malnutrition, etc.

Au cours de cette première semaine, nous avons traité des enfants avec la malaria, beaucoup de bébés et d’enfants souffrant de déshydratation sévère à cause de diarrhées…nous avons hospitalisé le premier cas confirmé de diphtérie en Haïti…maladie totalement éradiquée en Occident….c’est probablement le seul cas que je vais voir dans toute ma vie…et ça ne s’oublie pas…terrible fièvre, pharyngite affreuse, détresse respiratoire insupportable…c’était une petite fille de 6 ans…ce qui l’a finalement sauvée c’est une trachéotomie…fait par le chirurgien de MSF (merci)…

Nous voyons aussi beaucoup de malnutrition sévère…des enfants souffrant de marasme et de Kwashiorkor…et ils sont très malades…ils nous arrivent d'en perdre...les moyens sont limités...très limités...

Bref, à l’hôpital, nous traitons les cas les plus graves et les plus sévères…il n’y a jamais rien de banal...

Depuis quelques jours, j’ai commencé à faire des cliniques mobiles dans les camps de déplacés…nous offrons des soins de base à la population…les besoins sont criant…le dernier camps où je suis allée regroupe 6000 personnes…sous des tentes…dans un état inégal selon qu’elles proviennent des ONG ou qu’elles sont faites « maison »…c’est assez impressionnant…on s’installe le matin vers 10h00 et on voit des patients sans arrêt jusqu’à 14h-15h00…on voit en moyenne 120 à 160 patients par jour…dès qu’on s’installe, la file est sans fin…on sépare la file en deux…les bébés et les enfants d’un côté avec leurs mères et les adultes de l’autre…on commence toujours par les bébés et les enfants…les gens attendent debout…sous le soleil tapant…et c’est parfois la pagaille dans les files…et on comprend…être malade dans ces conditions, c’est l’enfer…et voir son enfant malade, c’est l’horreur…on commence à voir de plus en plus d’enfants souffrant de malnutrition sévère…de plus en plus de gens avec diarrhées infectieuses…de plus en plus d’infections respiratoires…de la gale, des plaies…et évidemment tous les adultes qui ont mal partout depuis « l’événement »…c’est de cette façon que les haïtiens parlent du tremblement de terre…c’est l’événement…et plusieurs ont mal au ventre…mal à la tête…mal partout…depuis l’événement…et on comprend pourquoi…

Les journées sont éprouvantes…ébranlantes…chargées…mais malgré tout, tout le monde ici garde le moral…tout le monde garde le sourire…les haïtiens sont hallucinants…des durs de durs…qui continuent à vivre coûte que coûte…qui continuent à rire de bon cœur…malgré tout…

Je pourrais continuer encore longtemps…il y a tant de choses à dire…mais je vais m’arrêter ici pour cette fois…

Je vais bien et je dors sous une tente depuis quelques nuits…le dernier tremblement de terre la semaine dernière nous a foutu la trousse en pleine nuit…et nous sommes quelques uns à refuser de dormir sous un toit…

Ok je vais me coucher…

À bientôt

Marie-Claude