Les Marquises - Dernière partie
19 juin 09
En route pour les Tuamotu
En principe, nous devions nous contenter de trois escales aux Marquises mais nous n'avons pu faire autrement qu'étirer notre passage dans ce petit paradis et avons finalement visité cinq des six îles habitées des 15 îlots qui composent les Marquises, aussi appelées 'terre des hommes'.
Les Marquises possèdent un pouvoir de fascination probablement attribuable à leur éloignement, à leur configuration et au mythe de paradis sauvage qui les enveloppe. Comment résister aux charmes des Marquises qui mystérieuses et méconnues, s'offrent dans leur rudesse, brutales et authentiques. Terres de légendes, elles abondent en vestiges archéologiques, dont plusieurs n'ont à ce jour, pas encore été inventoriés par les spécialistes. Malgré l'énorme potentiel touristique de cette destination, cet endroit a su conserver son cachet d'antan car son aspect touristique demeure encore sous-exploité.
Les paysages sont à couper le souffle mais d'abord et avant tout, les gens y sont souriants et accueillants. Ici, contrairement aux Antilles (opinion personnelle), les sourires sont non seulement gratuits, mais ils achètent aussi bien des choses. Ca fait tout drôle de voir que dans un tel paradis, on n'a pas à débourser un sou pour aller s'ancrer dans des baies toutes plus magnifiques les unes que les autres. C'est loin d'être le cas des Antilles où pratiquement tout est devenu payant. Ca fait du bien de ne pas toujours avoir la main dans sa poche.
Il y a des endroits que nous avons visités aux Antilles où nous n'osions même plus regarder les habitants dans les yeux de peur de se faire quémander de l'argent. A ces endroits nous n'avions pas encore pénétré dans une baie que les 'Boat boys' accourraient de toute part pour s'arracher les bateaux entrants pour nous soutirer de l'argent ou essayer de nous vendre leurs produits.
Les Marquisiens sont courtois à un tel point qu'il n'est pas rare de voir des adolescents ou des groupes de jeunes, s'arrêter sur la rue pour nous saluer. Ici l'argent ne prévaut pas. Pour avoir des fruits il n'y a qu'à demander aux locaux. Gare à celui qui prend sans demander toutefois! Il suffit de demander, ils vont parfois accepter de l'argent mais la plupart du temps, un sourire et une conversation est tout ce qu'ils demanderont. On nous a d'ailleurs encore offert des pamplemousses, caramboles, caracole (sour sup), citrons, bananes et fruit de l'arbre à pain. C'est fort agréable comme environnement.
Par contre, ce qui est payant n'est pas donné! Par exemple, les prix de la nourriture dans les petites épiceries de ces destinations isolées sont exorbitants compte tenu des frais de port et manutention.
Merci à Jacques et Josée de nous avoir convaincus de les suivre à Nuku Hiva, l'île du groupe nord la plus étendue de l'archipel des Marquises, la deuxième de toute la Polynésie française avec ses 340 km2. La plus peuplée, cette île a toutefois l'une des plus faibles densités. Comme le reste des Marquises, tels des blocs de lave surgis au milieu du Pacifique, les côtes de Nuku Hiva présentent un profil tourmenté et d'abruptes falaises sculptées par les puissantes éruptions de ses deux volcans emboîtés qui ont donné deux 'caldeiras' concentriques, dont les crêtes forment des remparts apparemment infranchissables.
Nous nous arrêtons d'abord dans le port d'entrée de Nuku Hiva, soit la baie de Taiohae gardée par ses deux rochers (la sentinelle de l'ouest et de l'est à son entrée). Ce charmant petit village de Taiohae compte 1500 âmes, niché dans la verdure et rythmé par les allées et venues des pêcheurs.
C'est dans ce village que les santaliers sont venus piller les ressources de bois et c'est également ici que les baleiniers venus se ravitailler faisaient relâche au début du XIX siècle. Le futur écrivain de Moby Dick, de Taipi et de Billy Budd déserta son baleinier et passa trois semaines à cet endroit, Taipivai plus précisément. Comme nous arrivons en milieu de journée, nous allons passer quelques heures à terre en PM et chemin faisant, nous rencontrons Jocelyne. Son mari et elle offrent des tours guidés de l'île en véhicule.
Ainsi, dès 09h00 le lendemain matin, nous (Cat Mousses et Alexandre IV) partons avec Jocelyne pour une excursion dont nous nous souviendrons longtemps. Jocelyne est une française mariée à un Marquisien, originaire des Gambier, qu'elle avait rencontré en France à l'époque, alors qu'il était encore en service militaire. Ils ont voyagé beaucoup à travers les mutations de son mari dont une au Gabon pendant quelques années, endroit où Jocelyne avait ouvert un petit restaurant. Ils ont un fils de 19 ans, Niles, présentement à l'école à Tahiti et ils vivent à Nuku Hiva depuis une dizaine d'années. Ils avaient visité cet endroit quelques 23 ans plus tôt et ont décidé de revenir s'y établir.
Tout ceci pour dire que nous avons littéralement bu les paroles de Jocelyne toute la journée. Très connaissante et cultivée, elle nous a entretenu toute la journée sur la flore et la faune, la culture, les us et coutumes et autre. L'endroit est magnifique et cette escale valait définitivement le coup. Jocelyne nous a appris une multitude de choses sur les plantes locales et les fleurs dont les hibiscus, orchidées sauvages, frangipaniers, le tilleul et j'en oublie. Elle nous a offert des fruits de l'arbre à pain que nous avons cuisiné en frites, mais aussi en purée dont j'ai fait un pâté chinois. Elle nous a fait voir les caractéristiques des arbres mâles et femelles de la papaye. Elle nous a fait voir le pigeon impérial des Marquises, une espèce endémique à l'île en danger d'extinction.
Bien que les Marquises ne comportent ni serpents, ni araignées locales, Jocelyne nous a montré deux arbres dont le fruit est poison et nous avons croisé le lendemain un scolopendre (d'une douzaine de cm), espèce de mille pattes dont la morsure est mortelle. Nous prenons, chemin faisant, plusieurs photos des cascades de Teuakueenui et Mahuiki.
Nous avons visité quelques petits villages typiques, dont la vallée de Taipivai abrîtant la magnifique chapelle de St-Joseph toute de pierre et de bois sculptés, dont le bois de rose et le tuf rouge, une pierre de coloration brique. Nous avons appris que pour les Marquisiens, les nord-américains sont des 'popas', les Américains sont des 'gringos'et les français sont des 'frannies'.
Elle nous a aussi parlé des 'rérés', soit les hommes aux allures un feu efféminées, nous expliquant qu'ils étaient très bien vus au sein de la société dû au fait qu'ils avaient souvent été mis au service de l'aristocratie. Autrefois, il n'était pas rare qu'une famille décide de garder un de leurs fils avec les filles de la famille, lui apprenant à coudre, à cuisiner et autre. Ceci permettait aux parents de garder au moins un de leurs fils à la maison en lui évitant d'avoir à se joindre aux guerres tribales.
De plus, comme les filles n'étaient jamais sacrifiées en offrandes, le fait d'avoir un réré dans la famille garantissait de garder au moins un fils. Les 'rérés' travaillent surtout dans la restauration et s'assument très bien, portent des vêtements féminins, bijoux, vernis à ongle et la fleur traditionnelle dans leurs cheveux longs. Ils paraissent très bien et aiment bien être complimentées sur leur tenue.
Au cours de l'excursion, nous nous arrêtons au bord de la mer dans le petit village pittoresque de Hatiheu pour dîner. Jocelyne nous fait voir la statue blanche de la Vierge Marie, hissée sur le haut d'un pic de montagne, à 300 m d'altitude en 1872.
Après dîner nous visitons les ruines d'anciens villages qui ont comporté jusqu'à 15 000 habitants à l'époque. Ces villages étaient situés souvent très creux à l'intérieur des terres et ces agglomérations se trouvaient concentrées autour de gigantesques arbres appelé banian. Ces arbres sacrés (grands figuiers de l'Inde aux racines adventives aériennes) caractérisés par un entrelacement de racines à leur base, servaient à l'époque, à enfouir ossements et crânes lors de cérémonies de sacrifices. Elle nous a fait voir deux de ces sites archéologiques dont Hikokua, restauré à partir de 1987, qui daterait des années 1250 et qui aurait été utilisé jusqu'au siècle dernier.
Ancien lieu de festivités et de sacrifices humains, ces sites comportent de magnifiques sculptures et tikis dont certains très anciens. Jocelyne nous fait voir l'esplanade qui était réservée aux danses lors des festivités communautaires pour les spectateurs des castes inférieures et supérieures. On y voit aussi un rocher plat qui servait de podium pour les danses en solo, servant à accomplir les rites liés à la puberté comme par exemple exposer les corps et les parties génitales des jeunes garçons ou filles, ou pour exhiber les premiers tatouages des personnes importantes. On peut aussi apercevoir neuf tombes chrétiennes faites avec des petites dalles de keetu. On suppose qu'elles datent de l'époque d'arrivée des premiers missionnaires, après l'abandon du site.
Finalement, Jocelyne nous montre une fosse alimentaire d'origine. Encore aujourd'hui, l'esplanade de cet endroit prête son cadre à des danses traditionnelles occasionnelles. Nous voyons ensuite le site archéologique de Kamuihei restauré en 1998 que l'on suppose avoir été habité par le clan des Puhioho. Ce site rassemble tous les éléments architecturaux de la tribu : vestiges des plates-formes d'habitation (pae pae), lieux de festivités et de réunion (tohua), sites religieux (meae), pétroglyphes, fosses alimentaires de stockage et banians (arbre sacré). L'importance et le nombre de ces structures témoignent de la forte densité de population qui occupait jadis cette vallé : on estime qu'elle était dix fois supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui.
Jocelyne nous a également fait voir plusieurs magnifiques baies dont la baie Colette et du Contrôleur et autres dont j'oublie le nom. C'est dans ces baies inhabitées que la série télévisée américaine ' Survivors' avait été filmée il y a quelques années. Bref, nous avons passé une journée inoubliable et nous recommandons sans aucune hésitation cette excursion, voici d'ailleurs l'adresse de courriel de Jocelyne (jocelyne@mail.pf) dont nous afficherons la photo dans la section remerciements de notre site web.
Le lendemain matin, nous quittons tôt pour nous rendre dans la baie de Taioa. Dans cette baie, nous apercevons des tortues et de magnifiques raies mantas qui nagent majestueusement, la gueule grande ouverte, en quête de nourriture. Elles sont suivies de petits requins à pointes noires.
Cette baie de Taioa est aussi appelée (Daniel's Bay) à cause de la famille de Marquisiens qui vit sur la plage. Aussitôt arrivés à cet endroit, nous mettons le dinghy à l'eau pour nous rendre dans l'anse d'Hakaui, l'embouchure de la rivière que l'on longe via les sentiers de la vallée pour aboutir à la cascade de Vaipo, haute de 350 m, soit la troisième plus haute au monde.
Cette vallée était autrefois le fief du roi Te Moana et de la reine Vaekehu. Sur le sentier empierré menant à la cascade, nous empruntons des tronçons de l'ancienne voie royale pavée et y trouvons de nombreux vestiges d'une occupation humaine ancienne dont des grottes funéraires dissimulées dans les parois des falaises et les ruines de ce qui formait autrefois ces lieux d'habitations, festivités et sacrifices humains. Nous atteignons la cascade après deux heures et demi de marche, elle se déverse à pic dans une vasque à travers une gouttière naturelle. La cascade, dissimulée par des contreforts rocheux, n'est toutefois visible que sur un court tronçon ce qui la rend moins imposante qu'escompté.
Nous passons un moment agréable à y pique-niquer et à regarder les gars se baigner et s'affairer à chasser (sans succès) les écrevisses. Au cours de cette excursion, nous devons retirer nos chaussures à deux reprises pour franchir des passages à gué. Nous nous repentirons longtemps d'avoir marché pieds nus dans ces rivières. Nous en avons encore des souvenirs incrustés dans la plante des pieds. Grr!!!
En effet, le lit de ces rivières regorge de minuscules coquillages, semblables à de petits escargots dont la carapace tient des pics qui s'infiltrent sous la peau tels des échardes lorsqu'on marche dessus. Le lendemain, nous décidons d'étirer notre séjour d'une journée dans cette baie car nous avons rencontré, la veille, un compatriote québécois, Sylvain Caron de l'Abitibi. Il est seul sur son voilier, un Ketch en bois de 40' appelé 'Inherit the Wind'. Jacques et René passeront une journée entière sur son bateau (sous l'eau dans le cas de René) à essayer de l'aider à se réparer un peu. Je laisserai le soin au capt de vous raconter cette partie.
Le voyage de Sylvain a débuté au Costa Rica et sa traversée vers les Marquises s'annonçait tout-à-fait normale. Mais après 3 jours en mer, son moteur a lâché et ensuite 3 jours plus tard l'eau s'est mise à s'infiltrer, à un point tel que lui et son équipier ont dû pomper l'eau manuellement après une semaine parce que les batteries étaient à terre.
Lorsque les avaries commencent à s'accumuler, il lui est impossible de rebrousser chemin car les courants l'éloignent de la côte et les vents ne sont pas favorables pour un retour à terre, il pointe donc vers les Marquises. Il a pris 62 jours pour faire une traversée qui aurait dû lui prendre un maximum de 30 jours.
L'eau rentrait à un point tel que lui et son équipier (qui n'avait jamais fait de voile de sa vie avant cette traversée!) ont pompé sans arrêt jour et nuit pour 2 minutes à toutes les 10 minutes. Pas besoin de vous dire qu'ils étaient contents de voir la terre. Pour compliquer le tout, puisque sa traversée a été un peu plus longue que prévue, ils ont commencé à manquer de nourriture et de propane, mais grâce à des rencontres fortuites et une rencontre arrangée par un réseau de radio amateur américain, ils ont reçu des vivres tout à fait gratuitement leur permettant de compléter leur périple.
Lors de notre arrivée à Daniel's Bay, dès que Jacques mets son ancre dans la baie, une annexe l'approche, c'est Sylvain avec son chien Eddy. Il a vu le drapeau du Québec sur Alexandre IV, Sylvain de dire, de l'aide venu de plus de 10000 miles nautiques!! Les varangues (morceaux de bois tenant en place les planches de bois formant la coque de son bateau en bois) sont pourries et lorsque le bateau est sur un tack, les planches ne tiennent plus en place et l'eau s'infiltre. Nous avons passé la journée à percer la coque pour installer dans ancrages additionnels afin de solidifier les planches de bois pour que l'eau cesse de s'infiltrer.
Après plus de 8 heures de travail avec beaucoup d'outils spécialisés que Jacques a à bord d'Alexandre IV, on croit bien qu'il est en position de pouvoir entamer sa traversée vers le prochain port où il pourra sortir le bateau de l'eau pour compléter le travail, dans les Tuamotus, une petite traversée de 500 miles nautiques!
Ce fut une journée très exigeante physiquement mais nous pouvons dire que nous avons le sentiment d'avoir fait notre BA de la journée et de la semaine car franchement sans notre aide, je ne suis pas sûr de ce qui serait arrivé à Sylvain. Le lendemain en quittant la baie, nous passons très près de Sylvain pour lui dire au plaisir de se voir dans le prochain ancrage et il nous salue habillé comme un vrai capitaine de navire!!
Pour terminer notre visite des Marquises, nous nous arrêtons à Ua Pou, à 30 km au sud de Nuku Hiva. L'île de Ua Pou vaut la peine d'être admirée au soleil levant et couchant pour ses paysages impressionnants tout en pics, en aiguilles et en monolithes blanchâtres, dont le plus haut sommet à 4000'.
Malgré sa petite taille, elle compte près de 2000 habitants, regroupés pour l'essentiel dans le petit bourg fleuri d'Hakahau. C'est apparemment le troisième village le plus populeux des Marquises. Nous y passons 24 heures au cours desquelles Alexandre IV nous invite à souper sur leur bateau pour déguster la succulente dorade qu'ils ont pêchée ce jour-là.
Avant de quitter le lendemain, les hommes font un dernier réapprovisionnement en eau douce et en essence puis nous levons l'ancre vers les Tuamotus pour éventuellement retrouver notre Catherine qui se sauve de nous et nous cache où elle se trouve dans l'espoir de pouvoir vivre à jamais avec Amanda.
Nous avons l'intention de nous arrêter dans les îles du Désappointement que nous croiserons sur notre route si nous en trouvons les cartes afin de nous assurer une approche en toute sécurité.
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