Le 29 février 2008
SAPZURRO dernière escale sur le continent Colombien
Latitude: 08-39.37N
Longitude: 077-21.84W
Bonjour,
Quatre-vingts milles séparent Isla Fuerte de Sapzurro. Nous partons le 23 février à 17 heures de Fuerte. La nuit est calme, la mer belle, le vent suffisant pour progresser à la voile, la lune généreuse, des dauphins débonnaires viennent me rappeler qu'il faut que je veille pendant mon quart (hum !) et au petit matin, un fou vient se reposer sur l'ancre. Une très belle navigation ! A l'approche de notre dernière escale colombienne, nous découvrons un mur de montagnes caché dans une mauvaise humeur grise et pluvieuse. La houle qui avait été gentille se lève subrepticement, de gros rouleaux d'écume remparent chaque côté de la baie évasée de Sapzurro.
Dans la baie, nous sommes très déçus. La seule place confortable est déjà prise. Déjà quatre bateaux sont à l'ancre, nous n'avons d'autre choix que de nous placer tant bien que mal face à une houle monstrueuse qui si nous n'assurons le bateau par une ancre arrière nous roule bord sur bord.
L'avantage d'une telle situation, c'est qu'elle ne donne aucune envie de rester à bord. Du coup, nous partons chaque jour tôt le matin et ne revenons qu'à la nuit tombée. Entre temps, balades et découvertes sont au menu de nos dernières journées colombiennes.
Dès notre premier débarquement à terre, une petite fille prend d'assaut ma jambe, elle s'y accroche pour que je la balade... Moyen économique de déplacement pour cette jeune Guliana, mais épuisant pour moi. Elle veut tout : que je la prenne en photo, que je l'accompagne à " la Miel ", que je vienne photographier sa maison, que je l'emmène le lendemain à l'école.... Ouhlàlà !!! Mais c'est un paquet d'énergie ce petit être. Elle est toute frêle, mais parle vite et avec une détermination qui laisse supposer qu'elle ne se laissera pas faire dans la vie. Heureusement, sa grand-mère passe par là, et vient m'aider à canaliser toute cette énergie.
C'est qu'en peu de temps on se sentirait presque débordé...
Retour à la maison avec l'oeil déçu et le front bas... Mais elle a eu le temps de m'apprendre beaucoup de choses, notamment, qu'il y avait de l'autre côté de la colline un village : " la Miel ".
Au retour vers le bateau, un marinero nous signale que " el commandante " désire rencontrer les équipages du mouillage. Nous partons donc en rangs serrés vers la guardia civile. Nous sommes accueillis par des militaires en uniforme dans le plus grand bâtiment du village. A côté du guichet d'entrée, une cellule ouverte dévoile un écriteau : " sala de reflexion " ! Méditer derrière des barreaux, voici une conception toute militaire de l'état zen ! Nous ne sommes pas franchement à l'aise, nous avons fait les formalités de sortie à Carthagène, il y a plus d'un mois. Notre Zarpé indique bien les points de passages où nous nous sommes arrêtés. Mais il ne nous donnait que 15 jours de balade... Profile bas, donc pour tous les équipages qui sont quasiment dans la même situation que nous.
Pourtant, le capitaine qui nous accueille se montre plus empressé de nous présenter le nouveau poste de garde que de consulter nos papiers. Il nous montre la cuisine, la salle de billard dont il semble très fier, la salle de télévision, à l'étage chaque militaire dispose de son studio... Et clou de la visite, nous passons dans le jardin, côté versant de montagne, où les militaires prennent à coeur de nous désigner le sommet où sont cantonnés les militaires panaméens. Observation en " chiens de faïence " pour deux nations qui étaient autrefois unies.
Puis, le capitaine nous fait passer dans un bureau, où " el commandante " nous reçoit. Là, nous avons droit à un cours de " politique sécuritaire touristique et diplomatique ". En gros, le commandant prend à coeur son rôle et les directives gouvernementales dont les priorités sont de protéger les touristes afin de développer cette industrie vers laquelle la Colombie se tourne. Sans y prêter plus d'attention que cela, le capitaine a recopié notre zarpé dans un grand cahier pendant notre leçon. Aucune
mention n'est faite au dépassement de nos droits. Et tout le monde nous souhaite de passer un bon séjour sur place. J'avoue que la Colombie est en matière de formalités l'un des pays les plus complaisants pour les bateaux et les équipages.
Dès le lendemain, encouragés par la petite Guliana et les militaires nous voici partis en randonnée. Le bateau étant toujours aussi chahuté, nous le laissons sans état d'âme.
Sapzurro est le dernier village de la Colombie avant d'entrer au Panama. Aucune route n'y passe. Par la terre, seuls des chemins qui se faufilent à travers la montagne et la forêt tropicale y accèdent. La plupart des Colombiens y viennent en Lanchas. Périple rendu dangereux en raison de la houle toujours présente. Appuyé sur des montagnes verdoyantes, le village est constitué de moins d'une centaine de maisons. Trois cents personnes vivent en permanence à Sapzurro. Il y règne une atmosphère de bout du monde, rythmée par les offices de l'église et la cour d'école. Ici tout paraît si tranquille que le temps y semble peser plus lourd qu'ailleurs. Les sons s'engourdissent dans une aire d'éternité. Sans prétention, le village est rendu mignon par ses ruelles étroites et le soin donné aux fleurs. Les maisons sont basses, faites de bois ou " en dur ". Elles sont proprettes et chacune présente une façade fleurie. Ce village est agencé comme un jardin botanique ! Hibiscus rouges, orange, roses, blancs à fleurs doubles ou triples, daturas et alamandas jaunes, frangipaniers, jasmins trompettes, arbres-pagodes, Ixora... Rares sont les espèces tropicales non représentées dans ce village qui ruisselle de couleurs et de lumière même par temps de grisaille.
Au Nord du village, un chemin monte à pic dans la montagne. Un chemin balisé, taillé dans la glaise et dans la pierre mène au sommet d'une crête. Cette crête qui s'avance tel un éperon vers le large est la frontière entre le Panama et la Colombie. Après une ascension qui met à l'épreuve nos mollets engourdis de marins nous trouvons un poste de garde panaméen. Un gros chien avachi sur la borne frontalière tient le rôle de mascotte des militaires basés là. Les militaires nous disent en souriant qu'il se remet d'une bataille livrée aux chiens de la ligne ennemie... Ces garçons, de forts gaillards vivent dans des conditions de campagne guerrière. Cabanes ajourées, recouvertes de treillis de camouflage, mitraillettes et armes lourdes prêtes à servir, voilà le décor que tentent de cacher deux gros bouquets d'hibiscus.
Il faut dire que les Panaméens restent traumatisés par les années 2000. Au début de ce siècle en effet, les Farc poursuivis par les paramilitaires colombiens ont tant progressé vers le Nord qu'ils se sont retrouvés dans le parc national de Darien qui jouxte les deux frontières. Au passage les deux clans de guérilleros ont semé la terreur dans les villages frontaliers. Les Panaméens ont très mal pris la chose. Depuis, afin d'éviter toute " contamination colombienne " les militaires ne relâchent jamais leur vigilance.
Jamais ???
Aux abords du poste de frontière, la vue est mal dégagée, un gros arbre m'empêche de prendre LA photo du mouillage. Je ne vois pas qu'il y a un écriteau " no passe " et je poursuis le chemin au-delà du canon, de la réserve d'arme et du bosquet d'hibiscus... Patrick, notre ami est en grande conversation avec le sergent de garde. Je finis par me percher face à un panorama dégagé de toute branche, mais le soleil tarde à revenir. J'attends donc patiemment qu'il revienne. C'est sans doute un peu long, car le sergent qui avait compté 3 nouveaux arrivants n'en voit plus que deux, le chef qui est en bas au village de Miel s'énerve à la radio. Et me voici priée de descendre de mon perchoir avant que le soleil n'éclaire la baie...
Zut... Ils ne sont pas drôles ces militaires !
Le village de Miel ne présente aucun intérêt mis à part que c'est le premier village panaméen. Il y règne une de ces ambiances de tristesse... Je me demande si Panama paye les gens pour y rester ??? Il y a bien une plage, elle pourrait être belle si les rouleaux chargés de saletés n'y faisaient leurs dépôts immondes. Les gens vivent dehors, personne ne souffle le moindre " bonjour ". Ca nous change, car depuis notre arrivée en Colombie nous décochions plus de bonjours dans nos journées que nous n'en
avions prononcés dans toute notre vie.
Nous revenons à Spazurro, soulagés de retrouver les sourires et l'ambiance colombienne. Au détour d'une petite plage nous trouvons sous une cocoteraie Carlos Enrique. Il a accueilli notre ami Patrick qui n'avait pas eu le courage de faire la descente et la remontée de Miel. Carlos a ramassé notre ami sur le bord de la plage, il l'a installé dans son patio pour lui offrir du jus frais de goyave. Lorsque nous passons à notre tour, nous sommes invités par Carlos, Juan et son frère. Nous sirotons ce jus de fruit délicieux pendant que chacun nous parle de la Colombie, des problèmes mais surtout des beautés d'un pays dont ils sont fiers. Nous leur communiquons notre étonnement quant à la différence d'atmosphère entre Miel et Sapzurro pourtant partagés par une simple colline. Ils nous disent avec l'oeil pétillant d'humour que les Panaméens sont des gens tristes depuis que les États-Unis ont décidé qu'ils ne devaient plus appartenir à la Colombie... Et quand nous leur demandons ce qui s'est passé en 2000, ils en parlent en disant que c'était terrible à Sapzurro aussi . Tout le monde avait peur. Mais aujourd'hui, tout est oublié, ils se sentent dans la région la plus sécuritaire du monde. En effet, depuis ces événements, les États-Unis et le Panama ont dressé un tel dispositif de vigilance par satellite, avions, armées de terre et de mer, qu'ils disent qu'il ne peut plus rien y arriver...
Nous l'espérons pour eux.
Nous souhaitons également que les Colombiens gardent le sourire. Qu'ils restent tels qu'ils sont allègres et bons vivants ! Les Colombiens que nous avons rencontrés depuis Cabo de la Vela jusqu'à Sapzurro ont tous été si affables. En onze escales et 410 milles parcourus le long des côtes caribéennes de la Colombie nous nous sommes littéralement réchauffé le coeur au contact de gens tous plus adorables les uns que les autres. Serviables et ouverts, ils forcent notre admiration et marquent à jamais
notre mémoire. Leur pays traîne des problèmes lourds et difficiles à gérer. Et pourtant, nous ne nous sommes jamais sentis en danger. Les Colombiens nous ont aidés à trouver notre rythme, ils nous ont ouvert les bras pour nous guider vers les beautés de cette côte exceptionnelle, nous offrant chaque jour toute leur âme...
Une très belle âme!
Amitiés marines
Nat et Dom de L'Etoile de Lune
PS aux amis navigateurs : Les quatre escales colombiennes (de Cholon, San Bernardo, Fuerte, Sapzurro) ne figurent dans aucun guide. Les cartes détaillées n'existent pas. Dans les jours à venir, je ferai un topo pratique avec pt GPS des accès et mouillages. Nous le ferons figurer dans le site www.etoiledelune.net dès la prochaine escale avec Internet, mais pour ceux qui seraient pressés de les obtenir, nous vous les fournirons à la demande...
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