Nouvelles des Navigateurs

Ce blogue a été conçu par Nycole - VE2KOU et se veut un point de rencontre
entre les navigateurs, familles et amis du Réseau du Capitaine et de la CONAM.

jeudi 10 avril 2008

ÉTOILE DE LUNE AU PAYS DES KUNAS




Le 10 avril 2008
Latitude : 09-13.46N Longitude : 078-00.55W
Village d'Ailigandi (signifie en Kuna "l'île des mangroves")

A l'école des Kunas

Bonjour,

Depuis un mois et demi, nous cherchons la carte postale. Et... Nous l'avons trouvée !

Trois petits îlots disposés en quinconce, une barrière de corail ou se casse l'écume vrombissante venant du large, des cocoteraies pour faire de l'ombre à de minuscules plages de sable blanc, une eau claire, des oiseaux qui chantent à tue-tête toute la journée, voilà le nouveau décor de L'Etoile de Lune.

Pourtant, nous ne sommes pas encore dans les mythiques Hollandes que tout le monde connaît. Nous en sommes encore à plus de 50 milles. Ici, peu de bateaux passent, depuis 10 jours, nous n'avons vu que des pirogues Kunas. Les Kunas passent à la voile ou à la rame (pas de moteur hors-bord dans les parages) et ils nous proposent langoustes et cocos. Je vous avoue, avec honte, que nous venons de refuser à contrecoeur les langoustes du jour, nous en sommes rassasiés ! Et puis, je n'aurais jamais cru qu'au 21e siècle, il était encore possible de trouver un tel mouillage pour nous tout seuls.

Seuls, mais pas isolés !

Nous sommes à un mille nautique de Ailigandi, un joli îlot-village de plus d'une centaine de huttes serrées les unes contre les autres qui abrite 1200 habitants. La particularité de ce village est qu'il est arboré. Souvent, les îlots supportent tant de monde qu'il n'y a plus la moindre place pour les arbres. Ici, cocotiers, arbres à pain, bananiers, arbustes médicinaux dépassent des toits de palmes.

Les villageois de Ailigandi sont des gens affables qui nous accueillent gentiment. Dès notre première visite, Dom et moi nous nous retrouvons avec des grappes d'enfants qui saisissent chacun de nos doigts. Dom a de grands doigts, cela lui fait dix gamins qui le tiennent, pas facile de se glisser dans les ruelles étroites bordées de palissades de roseau ! Filles et garçons se partagent le capitaine, ils sont sages. Ils nous regardent avec de grands yeux étonnés. Ils ne nous lâchent sous aucun prétexte t se disputent un peu la place... Les adultes, s'amusent en nous voyant passer. Nous leur lançons des "Nuedi" (bonjour). Premiers mots d'échanges qui se poursuivent en anglo-espagnol. Rapidement, tout le monde comprend que nous sommes curieux de leur culture, curieux d'apprendre, curieux de comprendre. Chacun y met du sien pour nous expliquer les rudiments de la culture kuna ou pour nous enseigner un nouveau mot de cette langue si particulière.

En somme, depuis que nous sommes dans les parages, nous sommes à l'école des Kunas.

Je dirais presque que le matin, nous quittons, cartables sur le dos, l'Etoile bien installée dans son mouillage devant l'îlot cocotiers de Dupdarboguad pour nous rendre en annexe au village de Ailigandi. Petite navigation bien arrosée par la mer qui passe suffisamment par dessus la barrière de corail pour faire des petites vagues qui adorent pourlécher le tee-shirt du capitaine. Pas le mien, car je me débrouille toujours pour me mettre à l'abri : il faut que je protège mon précieux et inséparable carnet de notes !

Au village nous retrouvons Reynaldo. Pas le "Beau Reinaldo" de Guairaca en Colombie, qui s'écrivait avec un "i"... Mais Reynaldo avec un "Y" de Ailigandi. Décidément, ce prénom nous porte chance ! Dès notre première visite à Ailigandi, une camaraderie s'est instaurée entre ce jeune homme de 39 ans et nous. Reynaldo a beaucoup de mérite, ses membres se paralysent peu à peu. Il travaillait à Panama City comme dessinateur pour un cabinet d'architecture, mais son infirmité l'a obligé à rentrer au pays.
Il vit chez ses parents, et se fait soigner par le "Nele" du village.

Un Nele est un médecin qui pratique les méthodes ancestrales des kunas. Médecine qui allie des remèdes à base de décoctions de plantes à des notions spirituelles. Le Nele fait, pendant qu'il administre ses remèdes, des incantations. Il prie, il chante, autour du malade qui est allongé dans une barque de bois (UR en Kuna). La barque est posée au centre de "la casa del doctor" soit en kuna : INA DULET (Ina pour le mot médecine et dulet pour la personnification de son antre).

Autour du malade sont disposés des Nuchus fabriqués par le Nele. Le Nuchu est une statuette en bois représentant l'individu qu'il faut soigner. Reynaldo, nous disait que son traitement consistait à aller voir une fois par jour le Nele. Reynaldo passe environ une heure allongé dans la "UR". Autour de lui, brûle de l'encens, des décoctions de plantes. Le Nele assisté de ses Nuchus est là également. Quand Reynaldo ressort de là, le Nele lui conseille de marcher un maximum possible. Lorsque nous l'avons croisé pour la première fois, Reynaldo sortait de sa séance de "thérapie". Il était ravi de nous rencontrer et de trouver un but à ses balades d'entretien... Et nous étions extrêmement heureux de trouver un guide aussi instruit avec autant de courage.

Chaque fois que nous nous voyons, il nous balade partout dans le village, et il nous initie à la culture kuna. Hier alors qu'il me parlait des pratiques médicales Kunas, je lui demandais s'il ramenait ses Nuchus à la maison. Il a levé les yeux au ciel, me disant qu'il était formellement interdit de posséder des nuchus dans sa maison. Le nuchu est "un être" qui porte une âme et une volonté spirituelle telle qu'il pourrait se retourner contre son possesseur s'il en faisait mauvais usage. Il me donnait l'exemple qu'un homme qui rentrerait chez lui et qui battrait sa femme devant son Nuchu. Celui-ci aurait toutes les chances de se blesser le lendemain en se rendant à "el Monte" pour cultiver sa parcelle ou de se noyer en allant à la pêche au cangrejo (énorme crabe qui est le plat préféré des kunas). Le Nuchu est donc à manipuler avec précautions...

Me voyant incrédule, Reynaldo accompagne ses paroles d'un geste et me dit : "Là, tu vois, mon Nuchu, me suit, il est là, avec moi et m'aide à marcher..." Il le dit avec un large sourire, mais il y croit. Dès que Reynaldo sera guéri, ses Nuchus le laisseront se débrouiller seul.

Je ne vous ai pas raconté ce pan de la culture médicinale le 1er avril, vous auriez cru au "poisson". Avant de vous confier cette petite leçon de culture Kuna, nous avons questionné plusieurs personnes à des endroits différents. Nous avons croisé nos premiers Nuchus à l'Ina dulet de Pinos, puis le peintre d'Ustupu a représenté de manière très éloquente une séance de thérapie, et ensuite avec Reynaldo nous avons été édifiés à la réalité Kuna. De village en village,il faut admettre que le Nuchu se
cramponne à son rôle ancestral. Il n'est pas à considérer comme une simple amulette ou un porte-bonheur en passe d'être révoqué par le téléphone cellulaire et la télévision. Le Nuchu a encore de beaux jours devant lui. Il est respecté, et surtout, il est craint pour ses pouvoirs qui pourraient se retourner contre son propriétaire.

Décidément, le monde Kuna est stupéfiant !

Amitiés marines
Nat et Dom de L'étoile de Lune

en photos :
le tableau peint par Alek De Leon de Ustupu "Le Nele en action",
Reynaldo et sa maman Rosalia devant leur maison de Ailigandi
ULU de Nuchus à Pinos (Ulu, est une caisse en bois)

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