Nouvelles des Navigateurs

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lundi 28 mai 2007

ZEN - compte rendu de leur visite à CUBA

Voici un petit texte de Michel et Monique lors de leur visite (séjour) à Cuba en début d'année :

Cuba Complicado

La Havane, le 23 décembre 2006


La Havane se profile dans le soleil levant. La Havane, si souvent chantée, dansée, filmée, critiquée, envahie, libérée, est là, à 15 milles sur notre bâbord : Buena Vista Social Club. La cité mythique est auréolée d’une brume matinale. Nos promenades dans ses rues nous feront comprendre qu’il s’agit de smog.

Nous hissons l’étoile de la bandera cubana accompagnée du drapeau jaune de quarantaine. Tout bateau qui entre dans des eaux territoriales doit arborer côté tribord le pavillon de courtoisie du pays ainsi que le pavillon jaune qui sera abaissé une fois les formalités d’entrée terminées.

À Cuba, les formalités d’entrée finissent quand commencent celles de sortie.

Nous ne le savons pas encore à quelques milles de l’arrivée. Soixante-huitard dans la cinquantaine, j’ai encore à l’esprit l’image de Castro et du Che au cigare triomphant. Nous verrons bientôt que les deux barbudos ne sont encore présents que sur les peintures murales de propagande et sur les t-shirts pour touristes.

La mer calme et le beau soleil nous permettent de relâcher au large, le temps de prendre une douche et de faire le ménage du bateau. Une voix brise le silence de la radio. Les autorités nous ont repérés. La tâche est facile, il n’y pas d’autre âme qui flotte sur ces eaux balayées par leurs jumelles désœuvrées, même aux abords de la Marina Hemingway, la plus grande de toute l’île. La voix fait un nouvel appel dans un mauvais anglais. Militant, je lui réponds dans un espagnol rouillé par trente ans d’inactivité. Elle nous avise que la bouée qui marquait jadis le début du chenal d’entrée n’est plus là.

Dans un espagnol tropical qui mâchouille les fins de mots, la voix nous donne ensuite la latitude-longitude de la bouée fantôme qui ne sera sans doute jamais remplacée. Le futé que je suis lui répond que j’ai très bien compris : la dite bouée d’entrée figure sur notre carte électronique ! Nous empruntons l’étroit passage taillé dans la barrière de récifs : un jeu d’enfant par temps calme, l’enfer par vent fort.

Une chape de moiteur nous colle à la peau. La journée qui précède un front froid – le célèbre calme avant la tempête – est ruisselante d’inconfort pour les nordiques que nous sommes.

Première vision d’irréalité : dans le bassin, nous croisons un trouffion en kaki qui transporte nonchalamment un baril de combustible sur un pédalo : ingéniosité née du blocus.

Nous aurions aimé nous amarrer, faire une sieste, prendre d’autres douches avant d’affronter les autorités. Le comité d’accueil sue en rang d’oignons et en uniforme sur le quai de béton écaillé du poste frontière. Nous avons fait le plein de patience et de sourire. Rien ni personne ne peut altérer notre bonheur d’être là. Ils vont monter à bord dans un ordre consigné dans leur livre des règlements : Salubridad, Imigracion, Guarda Frontera, Aduana.

Premier personnage de Tintin au pays des Cigaros : el medico de la Salubridad. Sorti d’un roman d’Hemingway, il multiplie les blagues dans un espagnol-français-anglais tout en bâclant l’inspection de notre pharmacie de bord et de notre frigo, presque vide pour cause de départ précipité. Béats d’être là, nous rions jusqu’au moment où il nous demande la propina (pourboire, pot-de-vin). Bien sûr, nous ne sommes pas obligés, nous dit-il, mais c’est la tradition de donner un petit quelque chose au médecin. Va pour un petit 2 $ américain. Il nous a pris par surprise. D’autres pigeons se sont fait délester de plus.

La scène de l’Imigracion sera la plus courte : une préposée nous demande nos passeports et nos visas, disparaît dans un bureau et nous les remet plus tard.

Troisième personnage : l’officier de la Guarda Frontera, un beau jeune homme engoncé dans son uniforme bleu boutonné jusqu’au col. Avec l’application d’un écolier studieux, il recopie à la main sur les trois exemplaires d’un même formulaire, les renseignements que nous lui avons déjà fournis sur une feuille dactylographiée. Il sort un petit pot de colle d’école primaire de sa sacoche, le pose sur la table, sort un timbre d’une autre petite poche, le colle sans faire de bavure, et attend qu’il sèche. Il émaille son interrogatoire de quelques mots que nous croyons être précolombiens mais qui s’avèrent être de l’anglais. L’autodidacte nous confisque toutes nos fusées de détresse en prenant bien soin de les consigner sur deux formulaires : un pour lui, un pour nous. Il nous les remettra lors de notre départ. Pourquoi ? Parce que c’est la loi. Il met aussi un scellé sur notre GPS portatif, mais il nous permet de le garder à bord. Personne ne le vérifiera à la sortie. Nous supposons que tous ces instruments pourraient servir à un dissident qui voudrait fuir le pays. Nous ne posons pas la question.

La Guarda Frontera en bleu cède la place à la Aduana en brun. Lui aussi sort de Tintin chez les Picaros avec sa moustache fine bien taillée au-dessus d’un sourire faux. Il demande de l’eau. Nous en avons, mais de la tiède. Il n’en veut pas. Il dit que la tiède le fait aller à la toilette. Il le dit en anglais, car il veut montrer à son collègue de la Guarda Frontera qu’il parle mieux anglais que lui. Moi, je lui dis que ma langue est le français et que je préfère parler espagnol. Déçu, il commence à parler sa langue. Il faudra payer des droits, pas tout de suite. Il faudra passer à son bureau, plus loin, avec des pesos convertibles à changer dans un bureau encore plus loin. Il y aura aussi d’autres timbres à tamponner, d’autres droits à payer, pour entrer, pour sortir, pour nous, pour le bateau.
« Pourquoi n’avez-vous pas une liste officielle de tous les droits à payer, ça serait plus simple et plus facile pour les visiteurs ? », lui demande-je avec une paire de gants blancs.
Il ne comprend pas les mots « simple » et « facile ».
Après les palabres, arrive le numéro tant attendu de la fouille. Un sous-douanier, blanc, profil skinhead surprenant sous les tropiques, monte à bord, affublé de couvre-chaussures bleus de chirurgien, troués : pour ne pas salir. Les autres étaient montés avec leurs godasses non protégées.

Règle d’or : suivre les fouilleurs à la trace. Nous avons réuni tous nos objets de valeur dans la couchette avant. Monique veille au grain. Fine-Moustache pointe un paquet de piles AA. Monique est intraitable : necessito, necessito ! Elle veut dire par là que nous en avons besoin. Les douaniers savent très bien qu’ils n’ont pas le droit de réclamer des cadeaux ou de l’argent. Si l’on répond à leur requête par un air de touriste ahuri, ils laissent vite tomber.

Je talonne Pedro Skinhead comme un limier. Il farfouille partout, sauf là où l’on aurait pu cacher quelque chose. Mais cacher quoi ? Quelle impression désagréable que de se faire soupçonner comme des criminels alors que nous sommes des voyageurs pacifiques à bord d’un voilier baptisé Zen. Un touriste en djellaba doit ressentir la même chose à l’aéroport de New York. À chaque poste frontière, j’ai la hantise qu’un douanier véreux sorte un petit sachet blanc de sa manche et nous le mette sous le nez (façon de parler).

Zen a t-il de la Coke en stock ? Sur le quai, un maître-chien retient avec peine son cabot renifleur au bout d’une laisse. Libéré, le fauve bondit à bord, frétillant comme un diabétique dans un magasin de bonbons. Ma théorie : ils les droguent à l’entraînement et les envoient en manque au boulot. D’autres voiliers ont eu droit en plus à un chien dépisteur d’explosifs : sniffait-il de la poudre à canon ?

Après trois heures de tampons et de taponnages*, nous abaissons enfin le pavillon jaune de quarantaine.



Bienvenidos a Cuba Complicado

Le même cirque reprendra quelques jours plus tard à notre départ de la Marina Hemingway. Une version plus provinciale et nonchalante sera rejouée à notre arrivée à Cabo San Antonio et à notre départ pour le Mexique.

* Taponnage : action futile et inutile qui engendre frustration et perte de temps.

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