Nouvelles des Navigateurs

Ce blogue a été conçu par Nycole - VE2KOU et se veut un point de rencontre
entre les navigateurs, familles et amis du Réseau du Capitaine et de la CONAM.

mardi 27 mars 2012

MARY MADELEINE - Gregg et Danielle EN NAVIGATION vers les Marquises

Mardi 27 mars, latitude 03 Sud, longitude 90,5 Ouest, il n'y a pas de vent.

Les vents que nous espérions atteindre en piquant vers le Sud (latitude 6 ou 7) se sont évanouis. Là aussi c'est le calme plat. Rien n'est prévu avant samedi. Inutile de brûler du carburant pour rien (nos réserves sont limitées), on a coupé le moteur à 17h30 hier soir et on se laisse dériver, portés par le Pacifique, car le pot-au-noir va durer encore plusieurs jours.

Les quelques 2 ou 3 noeuds de vents gonflent à peine le génois tangonné. Au mieux on fait une vitesse de 1 noeud (1 mile à l'heure) et c'est grâce au courant. C'est une nouvelle expérience, de nouvelles sensations. Il faut composer avec une certaine angoisse, car c'est difficile de bouger à peine et de sentir qu'on a si peu de contrôle sur quoi que ce soit, que c'est aussi impossible de retourner en arrière.

Je me souviens de la même sensation dans l'Atlantique, pendant quelques jours sans vent. Même si on sait avec nos têtes que le secret du bonheur c'est de vivre le moment présent et le savourer, dans la pratique c'est pas toujours évident.

Les regrets surgissent, tellement inutiles. Et tout ce qui ne se passe pas comme on avait prévu et sa cohorte d'inquiétudes collatérales devient un genre d'urticaire mental très désagréable et envahissant. Totalement stérile.

On a donc décidé de se baigner, de manger, de dormir. De jouir du spectacle de cet océan à l'état de repos. Première constatation fulgurante : le silence! On décide de laisser faire nos quarts de veille nocturne de façon aussi rigoureuse que d'habitude car nous ne sommes pas dans un secteur de cargos ou de bateaux de croisière et avec l'absence de vent il est peu probable qu'un voilier passe près de nous sans qu'on entende son moteur de loin.

Greg avait peu dormi depuis quelques nuits et il s'est endormi très profondément (malgré le roulis assez fort). Moi, j'ai veillé, à l'affût des sons. C'est alors que je les ai entendues. Tout un banc de mammifères marins passait près de nous. Tout près. À babord et à tribord, j'entendais leurs respirations et leurs plongées.

Puis j'en ai vu une, seulement sa phosphorescence, passer sous le voilier. Une forme plus grande qu'un dauphin, mais pas immense non plus. Probablement des petites baleines globicéphales (pilot whales), elles se déplacent souvent en groupe. Quand la migration a été terminée, je suis retournée m'allonger, sans dormir, ne voulant rien perdre de la sensation puissante d'être tolérés (j'ai failli écrire "invités" car nous ne sommes clairement pas chez nous, mais on semble accepter notre présence) dans cet univers mystérieux et tellement plein d'une vie dont on ne soupçonne pas l'existence quand on roule à voile ou à moteur.

Puis un nouveau son m'a sorti de mon léger assoupissement : un son très profond, comme une note jouée à l'orgue, très basse et très poignante. Très, très longue. Puis une autre plus lointaine et sur une autre note, comme une réponse à la première. Et j'ai réalisé que j'entendais le chant (ou l'appel) de baleines.

Un son inoubliable. Qui impose le recueillement, la conscience de notre immense petitesse, l'admiration béate, la peur et l'extase tout en même temps. Le concert a duré une bonne demie-heure. Greg est certain qu'il s'agissait de cachalots (sperm whales). Le spectre de Moby Dick. De Melville.

Voilà, on est à notre troisième jour de mer et on avance à peine. Très éprouvant pour les hyperactifs que nous sommes. Greg a inventé un astucieux système de poulies et de cordage pour grimper sur l'étai arrière où se trouve l'antenne de la radio ondes-courtes. Suspendu comme un singe, il y a refait toutes les connections, ce matin, sous un soleil qui plombait, même à 8 heures. Tout ça pour nous assurer de bonnes communications. Notre drogue.

La surface de l'eau soulevée par une légère houle ressemble au désert avec ses dunes, bleu à l'infini. Un faux désert. Qui nous retient prisonniers pour le moment (je ne peux m'empêcher de penser au magnifique film japonais "la femme des dunes" tombée dans un trou dans le sable du désert). Ça ne durera pas. Et même si on se le répète, c'est tout un exercice mental de pouvoir savourer la plénitude dont nous sommes comblés.
On vous embrasse très fort,
XXX
Danielle et Greg

Aucun commentaire: