Objet : Balade vers le village de Hokatu, découverte des oeuvres des sculpteurs de la vallée, rencontre avec Delphine et Maurice, leçon de Ukulélé, découverte du symbole marquisien qui a fait passer les îles dans l'an 2000, et kaikai chez Patricia, dégustation de plats locaux.
Bonjour,
Ce soir, j'ai la sensation d'avoir vécu plusieurs journées en une. Nous partons tôt du bateau, que nous abandonnons à sa houle sporadique. Notre débarquement à terre est aussi rocambolesque qu'hier, des rouleaux poursuivent l'annexe... Ca y est nous sommes arrivés et submergés! Nous relevons le fardeau plein d'eau et l'emmenons loin sur le rivage pour que les marées ne l'emportent pas.
Tout cela n'est rien, nos sacs étanches sont toujours de sortie, et la douche sur la plage nous permet de retrouver une mine présentable pour aller à la rencontre des villageois de Hokatu, la vallée voisine de celle d'Hane où nous logeons. Sur le chemin, les chevaux sauvages offrent le panorama le plus mythique des Marquises. La baie de Hane, appuyée sur la rampe vertigineuse d'un ancien cratère, s'évase vers le large. Comme un point gigantesque, un rocher, tel un diamant brut de 200 mètres de hauteur, ponctue l'entrée de la baie. Entre le rivage et le rocher, notre Etoile, point jaune minuscule, se balance en arrière-plan de chevaux qui paissent sur les parois abruptes. C'est splendide!
La route sillonne la paroi Est de la baie. A chaque virage, un panorama plus beau que le précédent se découvre. La sécheresse de ces derniers mois a eu raison de la flore de Ua Huka. Aujourd'hui, la roche se joue de nuances de rouges, d'orange, de safran, de bruns, d'anthracites. Dans ce décor minéral, quelques touches de vert anis tranchent singulièrement. Les arbres survivants, réunis en bosquets, apparaissent comme des touches vives rajoutées à l'aveuglette par un peintre inspiré.
J'ai la sensation étrange de me retrouver enfin dans les vraies Marquises...
La route, sous l'éternelle vigie du rocher de Hane, redescend vers Hokatu. Des chants liturgiques parviennent jusqu'à nous. Une grande partie du village est à la messe. Delphine n'y est pas! Heureusement pour nous. Cela nous permet une merveilleuse rencontre. Elle nous dit qu'elle nous attendait.
"Nous?"
"Oui, vous! C'est bien vous qui êtes arrivés vendredi?"
"Heu oui..."
"Ha, mais, les filles du village m'ont dit de venir voir, de quitter mon magasin et d'aller voir la voile qui arrivait du fond de l'horizon. Mais vous vous êtes mis beaucoup trop au large dans la baie. Il faut vous ancrer plus près, vous aurez moins de chemin à parcourir en annexe. Hier, je voulais venir vous chercher, je suis venue en voiture à Hane, pour vous amener à mon village. Mais vous étiez déjà reparti sur votre bateau. Les chasseurs m'ont dit..."
Le moulin à parole est lancé. Et nous réalisons qu'il était impossible de passer inaperçu dans cette île qui voit passer très très peu de bateaux. C'est la première fois que des insulaires nous donnent le nom des voiliers qui sont passés, ainsi que ceux des équipages. Et le dernier remonte à plusieurs mois. Pourtant, les visiteurs ne restent pas très longtemps...
Delphine abandonne la caisse de son petit magasin, ouvert sous la pergola de sa maison. Elle empoigne d'une main énergique la clé de la maison de l'artisanat. Chemin faisant, ses expressions, sa voix, ses manières me semblent familières. Je lui demande :
"Connaissez-vous Fély à Hiva Oa?"
"Mais c'est ma soeur!"
Je m'en doutais. Fély m'avait dit qu'elle avait une soeur sur Ua Huka, je n'avais pas pris ses coordonnées, et le destin veut que nous la rencontrions dès notre arrivée. Quelle belle famille. Aussi loquaces et enjouées. Lorsqu'elle nous ouvre les portes de la maison de l'artisanat, nous avons la sensation de pénétrer dans la caverne d'Ali Baba! Une corne d'abondance de toutes les créations sur bois des artistes de l'île. Nous y découvrons les tikis déclinés en filles, en garçons et dans toutes les essences de bois de l'île. Des grands, aussi grands que Dom aux miniatures en passant par toutes les tailles. Des raies mantas sculptées, des casse-têtes, des herminettes, ... Je ne sais combien d'objets recèlent cette pièce. Chaque objet mérite une attention particulière.
Delphine voyant notre intérêt pour l'art marquisien nous entraîne chez elle. Nous voici en haut du magasin, sur sa belle pergola. Là, se trouve un véritable musée personnel. Son mari garde ses plus belles pièces, il les présente aux concours de sculpteurs de Polynésie, et il ramène quasi chaque année le premier prix. La pièce dont il est le plus fier est une pirogue cérémoniale. Il a reconstitué la tradition de deuil des Maohis qui conduisaient leurs morts en pirogue avant de les embaumer. Un casse-tête géant jonche le sol. Il nous raconte la légende de géants marquisiens venus de Hiva Oa, pour tuer des enfants de Ua Huka, et ce casse-tête géant qui vengea la mort du petit-fils d'un chef de l'île. Je ne peux malheureusement pas vous énumérer toutes les oeuvres qui nous sont dévoilées, mais nous avons passé des heures extraordinaires d'enseignement auprès de Maurice.
La dernière pièce qu'il sort est son ukulélé. Il en joue pour nous et entreprend de donner une leçon de ukulele. Moment inoubliable, de rigolade, de fausses notes, mais aussi de complicité avec ce couple qui nous accueille chez lui, avec une telle confiance, un tel désintéressement, que tout ce que nous partageons est tout simplement naturel.
Il est temps de partir. Nous n'oublions pas l'invitation de Patricia du village de Hane. Elle nous attend pour manger le kaikai, et l'heure avance. Nous craignons fort d'être incorrects et d'arriver en retard. Delphine ne se formalise, elle nous rassure, nous disant qu'elle nous y amènera en voiture. Elle nous remplit un grand sac de papaies et de mangues.
En redescendant de sa terrasse, nous passons devant une sorte de garage. Une tôle ondulée recouvre une double pirogue. Quelle surprise de voir une telle embarcation au milieu d'un chaos de cartons, de billes de bois, de sculptures inachevées. Cette pirogue, mal rangée, est pourtant la fierté de l'île de Ua Huka. Elle a été façonnée par un ancien de l'île. Il ne savait ni lire, ni écrire, ni compter, il ne parlait que le marquisien. Et il a fabriqué une pirogue ancienne, selon des plans qu'il a imaginé. Elle comptait six rameurs, et plus de douze sculptures de tikis. A six heures du matin, le 31 décembre 1999 les six rameurs ont quitté la baie de Hokatu, pour rallier le village principal de Nuku Hiva (70 km). Cette pirogue construite selon les traditions ancestrales a été le point d'orgue des célébrations des Marquises pour le passage de l'an deux mille. Delphine nous détaille quelques petites anecdotes au sujet des tikis que le prêtre de Hokatu a fait "émasculer", car la pirogue portait une vierge et se trouvait nez à nez avec les attributs trop péremptoires des tikis... Oh, oh, oh... au 21e siècle, les hommes d'Église ne sont pas plus tolérants qu'au 19e!
Trêve de bavardages, Delphine nous fait grimper en voiture et nous dit au passage qu'elle s'invitera aussi et testera la bonne cuisine de son amie Patricia. Retour donc rapide sur Hane. Chez Patricia, la table est mise. Une immense table, couverte de nourriture. Au nombre de plat, je me demande si elle a invité tout le village pour le repas dominical. Mais nous ne sommes que six à table. Poisson cru, chèvre au lait de coco, riz, bananes cuites, piments... jus de fruits frais... Elle nous nourrit pour plusieurs jours en un seul repas. Et nous prépare un sac de bananes.
"J'ai pris le régime pour que vous en ayez assez pour plusieurs jours..."
La discussion, à table, va bon train. Et elles s'ouvrent sur leurs rapports avec certains Popa'a... Et nous voyons les choses de l'autre côté de la lorgnette. Je réalise combien certains Français qui viennent dans ces îles se comportent parfois de manière bien irrespectueuse. Ils prennent de haut, ces gens qui sont chez eux. Ils disent des paroles blessantes que les insulaires n'ont pas oublié plus de vingt ans après... Je comprends tout à coup la réticence que je sentais ailleurs. Et je m'en sens tellement désolée, mais aussi impuissante.
Pour autant, leur gentillesse, leur générosité sont touchantes. Inoubliable. Et leur humour montre à quel point au-delà de paroles prononcées trop vite, leur vie, dans ces îles si reculées, est un trésor qu'ils préservent jalousement.
Finalement, c'est justice que les mouillages de Ua Huka soient rouleurs, tangueurs à souhait. C'est pour préserver, pour longtemps encore, l'âme marquisienne, qui ici se vit en grandeur nature.
A plus, pour d'autres nouvelles...
Nat et Dom
www.etoiledelune.net
1 commentaire:
KAOHA NUI NAT ET DOM.
JE SUIS CONTENTE QUE VOUS AYEZ TROUVE A HOKATU L'AME AUTHENTIQUE DES ENATAS. BON VENT A VOUS DEUX.
FELI
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