Nouvelles des Navigateurs

Ce blogue a été conçu par Nycole - VE2KOU et se veut un point de rencontre
entre les navigateurs, familles et amis du Réseau du Capitaine et de la CONAM.

vendredi 22 août 2008

ÉTOILE DE LUNE - Nat et Dom - Récit

Nathalie et Dominique nous font partager leur voyage au pays des Kunas


Message 74 – écrit en juin 2008
Nombres de milles parcourus : 11 105milles
Nombre d'inscrits à la lettre du mois : 658
Zone de navigation : Comarca de Kuna Yala


Nuchu, Nele, Winni, Chicha, Ina Kaipi, Roja...
Voici les grandes étapes de la vie des Kunas - Episode 4/4

"Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis." - Saint-Exupéry
Ceci est le quatrième et dernier épisode de notre saga sur les Kunas. Retrouvez le début de l'histoire et consultez les messages 71, 72 et 73 respectivement intitulés:
- Le clan des irréductibles
- Le regard de Nuelia - Une étincelle en Pays Kuna
- Les Nourritures Kuna

Résumé du message
Lorsque nous quittons Ustupu, nous rejoignons notre dernière étape en pays Kuna : Ailigandi. Devant l'îlot de Dupdarboguad, nous trouvons NOTRE lagon de rêve. Plage de sable blanc, bouquets de cocotiers, eaux cristallines. L'étoile ne fait de l'ombre qu'à elle-même pendant 3 semaines. Nous sommes à une demi-heure en annexe du village historique d'Ailigandi. Nous y rencontrerons Reynaldo. Mais aussi Roy, un vieux monsieur artiste et historien. Il partage dans sa maison transformée en musée, toute la culture ancestrale kuna. Plus loin, nous trouvons Analida, dont le frère Anaclédio nous adopte comme ses enfants... Puis nous retournons sur Ustupu, une promesse que nous avions faite à Alek et Isabel...
Au-delà de la carte postale, plus de trois mois passés en Kuna Yala sont une expérience humaine incomparable.


Bonjour,

Depuis deux mois nous musardons dans le Sud de l'archipel des San Blas, jusque-là nous n'avons pas trouvé LA carte postale, l'îlot de rêves digne des récits de nos prédécesseurs. Le temps plus souvent gris que bleu ne nous a pas aidés dans notre quête. Mais après la pluie, un jour, toujours vient le soleil. Celui-ci nous aide à nous faufiler dans les passes difficiles de Atchutupu. Un dédale de récifs, que le merveilleux guide nautique de Monsieur Éric Bauhaus nous aide à traverser. Il a posé sur les cartes un cordon de points GPS, il suffit, tel le fil d'Ariane, d'en saisir un bout et de le suivre. Cela n'empêche pas de garder l'oeil ouvert et de naviguer par une excellente visibilité. Car certains repères se situent exactement SUR le récif à éviter.

Peu importe cette navigation attentive. Après quelques petites frayeurs, nous sommes largement récompensés. Trois petits îlots disposés en quinconce, une barrière de corail ou se casse l'écume vrombissante, des cocoteraies pour faire de l'ombre à de minuscules plages de sable blanc, une eau claire, des oiseaux qui chantent à tue-tête toute la journée, voilà le nouveau décor pour L'Etoile de Lune. Nous choisissons l'îlot de Dupdarboguad. Nom pas facile à retenir et encore moins à prononcer, mais il est notre préféré. Il porte en son extrémité sud, un bouquet de trois palmiers qui, grandissant chacun à leur tour, forment des houppettes de palmes en étage dont je raffole.

Notre ami Patrick est soumis à des impératifs métropolitains. Nous nous quittons donc ici. Il part vers le Nord, tandis que notre route va rebrousser chemin. Les étraves de bateaux sont ainsi faites. Elles croisent leurs sillages pour de jolies navigations amicales, puis chacun reprend sa route. Nous n'avons pas vu le temps passé, deux mois et demi de franche amitié partagée avec un capitaine très agréable à vivre. Merci Patrick! Bon vent, belle mer...

Après son départ, aucun bateau ne passera au coeur des récifs de Ailigandi. Nous ne sommes pas encore dans les mythiques et touristiques Hollandes que tout le monde connaît. Nous en sommes encore à plus de 50 milles. Je n'aurais jamais cru qu'au 21e siècle, il était encore possible de trouver un tel mouillage pour nous tout seuls. Ici, peu de bateaux passent. En plus de 2 semaines, nous n'avons vu que des pirogues Kunas. Les Kunas à la voile ou à la rame (pas de moteur hors-bord dans les parages) viennent nous proposer langoustes et cocos. Je vous avoue, avec honte, que nous avons fini par refuser langoustes. Nous en étions rassasiés !

Nous sommes à un mille et demi de Ailigandi, un joli îlot-village de plus d'une centaine de huttes serrées les unes contre les autres. Ailigandi abrite 1200 habitants. La particularité de ce village est qu'il est arboré. Souvent, les îlots supportent tant de monde qu'il n'y a plus la moindre place pour les arbres. Ici, cocotiers, arbres à pain, bananiers, arbustes médicinaux dépassent des toits de palmes. Ils propagent une ombre fraîche tout en offrant des fruits aux habitants. Une atmosphère bucolique des plus engageantes !

Fait exceptionnel depuis que nous sommes en pays Kuna, Dupdarboguad est le premier mouillage où personne n'est venu réclamer la taxe de mouillage. Par contre, la première fois que nous nous sommes présentés au village d'Ailigandi, nous avons demandé à la première personne rencontrée s'il y avait une taxe à payer. C'est une manière simple de ne choquer personne. Il y a toujours quelqu'un près des quais. Il faut prendre soin de toujours choisir un homme, jamais une femme. Elles sont plus farouches, et les hommes aiment à préserver leur rôle de guide aux étrangers. Nous trouvons deux hommes sur la place du village, les saluons chaleureusement et nous leur demandons immédiatement ce qu'il y a lieu de faire (voir le sahila ou payer l'impôt, parfois les deux). L'un des deux se présente. Il s'appelle Reynaldo. Il est en train de refaire une beauté à la statue du cacique d'Ailigandi, "el gran Jefe Simral Colman ou de son petit nom Kuna "Olokindibipilele". Il a été l'initiateur de la révolution. Ailigandi est le pôle de départ de la grande révolution qui permit au peuple kuna de rester autonome. Un village historique ! Malgré l'importance de son travail, Reynaldo abandonne ses pinceaux et nous conduit à la Officina de la Comunidad (au bureau de la communauté).

Au bureau de perception de la taxe, une jeune secrétaire et Aurelio Munios l'accesseur du Sahila nous accueillent chaleureusement. Visiblement cette participation spontanée à la taxe communautaire est appréciée. Pour la modique somme de 2 dollars par personne, ils nous invitent à venir au village aussi souvent que nous le désirons pendant notre séjour. Lorsque nous lui demandons les restrictions appliquées aux étrangers, il nous répond qu'il n'y en a pas. Sauf une restriction d'horaire qui concerne les marins colombiens. Ceux-ci sont consignés à bord de leur lancha au-delà de 17 heures et jusqu'au lendemain matin. Les autorités préservent ainsi "la paix dans les ménages"... Par contre, il nous dit que nous pouvons nous balader tranquillement, les photos sont permises et gratuites à condition, évidemment (!), de demander la permission aux intéressés.

Le bureau est un hommage aux grands caciques révolutionnaires, des photos datant des années 1930 sont punaisées aux murs. Plus surprenante, est la présence, dans le bureau du sahila, de trophées de Basket-ball, de football et de volley... Le village gagne régulièrement des coupes panaméennes. Devant l'école d'Ailigandi une dalle bétonnée sert de stade d'entraînement aux jeunes. Reynaldo qui nous avait attendus devant le bureau, nous emmène voir une partie de Basket-ball féminine. Les jeunes filles sont du tonnerre et elles se défendent prodigieusement bien ! Pendant que les filles s'entraînent, les garçons de l'école viennent nous voir. Ils veulent tout savoir de nous. Et rapidement, ils s'intéressent à notre voyage. Sur le grand planisphère peint sur le mur de l'école, ils nous désignent le Canada, les États-Unis, la France, l'Italie... Nous leur traçons du bout du doigt, la route que nous avons faite en quatre ans, pour arriver jusqu'à eux. Les yeux s'écarquillent, les regards suivent le chemin de leur imagination, ça y est... Ils rêvent eux aussi !

Au-delà de l'école et de la place du village où se situe la statue du cacique, il y a comme dans tous les villages Kunas, le Congresso. En chemin, nous croisons le sahila. Reynaldo nous présente immédiatement à Maximo William. C'est la première fois depuis que nous sommes dans le Kuna Yala qu'un sahila nous accorde un peu de son temps. D'habitude, nous le voyions passer telle une ombre éthérée. Cette fois, le Sahila s'adresse à nous en espagnol, il nous souhaite la bienvenue en nous serrant la main chaleureusement.
"Con mucho gusto" (Enchanté) Nous dit-il dans un sourire engageant.
Il nous demande d'où nous venons. Il pose quelques questions de courtoisie. Son "cantador" vient nous rejoindre. Celui-ci nous parle en anglais. Le cantador et le Sahila s'apprêtaient à se rendre au congresso pour invoquer les dieux qui protègent la terre kuna. Je suis tellement impressionnée par ce petit bonhomme que j'en oublie ma langue. Il est minuscule et âgé. Comme tous les sahilas. Il porte un jean, une chemise à carreaux et une cravate rouge, feutre noir enfoncé sur le front. Il va pieds nus. Comme tous les sahilas ! Je regrette ma paralysie. C'est là une chance incroyable d'avoir une discussion avec un haut dignitaire et me voici muette ! (Ou presque...)

Les villageois de Ailigandi sont des gens affables qui nous accueillent gentiment. Dès notre première visite, Dom et moi nous nous retrouvons avec des grappes d'enfants qui saisissent chacun de nos doigts. Dom a de grands doigts, cela lui fait dix gamins qui le tiennent. Pas facile de se glisser dans les ruelles étroites bordées de palissades de roseau ! Filles et garçons se partagent le capitaine, ils sont sages. Ils nous regardent avec de grands yeux étonnés. Ils ne nous lâchent sous aucun prétexte et se disputent un peu la place... Les adultes s'amusent en nous voyant passer. Nous leur lançons des "Nuedi" (bonjour). Premiers mots d'échanges qui se poursuivent en anglo-espagnol. Rapidement, tout le monde comprend que nous sommes curieux de leur culture, curieux d'apprendre, curieux de comprendre. Chacun y met du sien pour nous expliquer les rudiments de la culture kuna.

Nous sommes à l'école des Kunas.

Je dirais presque que le matin, nous quittons, cartables sur le dos, L'Etoile de Lune bien installée dans son mouillage devant l'îlot cocotiers de Dupdarboguad pour nous rendre en annexe au village de Ailigandi. Petite navigation bien arrosée par la mer qui passe suffisamment par dessus la barrière de corail pour faire des petites vagues qui adorent pourlécher le tee-shirt du capitaine. Pas le mien, car je me débrouille toujours pour me mettre à l'abri : il faut que je protège mon précieux et inséparable carnet de notes !

A chaque visite Reynaldo nous accueille. Il a beaucoup de mérite. Il nous dit :
"Yo soy un poco enfermo"
"Je suis légèrement malade."
En fait, ses membres se paralysent peu à peu. Il travaillait à Panama City comme dessinateur pour un cabinet d'architecture, mais son infirmité l'a obligé à rentrer au pays. Il vit chez ses parents et se fait soigner par le "Nele" du village.

Un Nele est un médecin qui pratique les méthodes ancestrales des kunas. Médecine qui allie des remèdes à base de décoctions de plantes à des notions spirituelles. Le Nele fait, pendant qu'il administre ses remèdes, des incantations. Il prie, il chante, autour du malade qui est allongé dans une barque de bois (UR en Kuna). La barque est posée au centre de "la casa del doctor" soit en kuna: INA DULET.

Autour du malade sont disposés des Nuchus fabriqués par le Nele. Le Nuchu est une statuette en bois représentant l'individu qu'il faut soigner. Reynaldo, nous dit que son traitement consiste à aller voir une fois par jour le Nele. Reynaldo passe environ une heure allongé dans la "UR". Autour de lui, brûle de l'encens, des décoctions de plantes. A la fin de la séance, il est formellement interdit de ramener ses nuchus à la maison. Le nuchu est "un être" qui porte une âme et une volonté spirituelle telle qu'il pourrait se retourner contre son possesseur s'il en faisait mauvais usage. Par exemple, un homme qui rentrerait chez lui et qui battrait sa femme devant son Nuchu, aurait toutes les chances de se blesser le lendemain en se rendant à "el Monte" pour cultiver sa parcelle ou de se noyer en allant à la pêche au cangrejo (énorme crabe qui est le plat préféré des kunas). Le Nuchu est donc à manipuler avec précautions... Me voyant incrédule, Reynaldo accompagne ses paroles d'un geste et me dit :
"Là, tu vois, nous ne sommes pas seuls, mon Nuchu, me suit, il est là, avec moi et m'aide à marcher..." Il le dit avec un large sourire, mais il y croit. Dès que Reynaldo sera guéri, ses Nuchus le laisseront se débrouiller seul.

Avant de vous confier cette petite leçon de médecine Kuna, nous avons questionné plusieurs personnes à des endroits différents sur la question du Nele. Nous avons croisé nos premiers Nuchus à l'Ina dulet de Pinos, puis le peintre d'Ustupu a représenté de manière très éloquente une séance de thérapie. De village en village,il faut admettre que le Nuchu se cramponne à son rôle ancestral. Il n'est pas à considérer comme une simple amulette ou un porte-bonheur en passe d'être révoqué par le téléphone cellulaire et la télévision. Le Nuchu a encore de beaux jours devant lui. Il est respecté et surtout, il est craint pour ses pouvoirs.

Chemin faisant, Reynaldo nous conduit chez ses amis Analida, et Anaclétio. Anaclétio est le patriarche de la famille. Il nous ouvre les portes de sa demeure, il nous accueille en anglais. Encore un ancien du canal. D'emblée il adopte Dom comme son fils spirituel. Mon capitaine a le même âge que son propre fils. Il en faut si peu pour rentrer dans la famille. Analida, quant à elle m'accueille avec un énorme sourire. Elle confectionne des winnis. Le winni est l'indispensable accessoire qui accompagne la tenue traditionnelle kuna. Outre la blouse faite de mollas, le paréo multicolore, les femmes kunas portent des bracelets qui couvrent les avant-bras, ainsi que des chaussettes qui remontent de la cheville jusque sous le genou. Ces accessoires sont uniquement faits de fils et de perles de rocaille de couleurs vives. Les winnis, réels tissages sur mesure, se partagent entre le jaune, le rouge et le vert pour les couleurs dominantes. Il faut plus de trois jours pour recouvrir un seul avant-bras ou un seul mollet. Comptez donc que pour s'habiller, une femme kuna met plus de 12 jours !

Messieurs, vous y penserez, lorsque vous attendrez votre douce moitié qui se prépare à sortir...

Si les filles discutent chiffons, Anaclétio quant à lui, est en train de construire une extension à l'ensemble de huttes qui forment sa demeure. Celle-ci fera office de cuisine. Les huttes selon leur finition et leur taille sont construites en quelques semaines ou en trois mois. En théorie, le toit de palme est fait pour garantir une assez bonne étanchéité pendant 10 ans. Le problème le plus sérieux de ces huttes est la préservation de l'équilibre de l'ensemble pendant les grosses pluies orageuses de l'été. En effet, les roseaux qui façonnent les murs sont simplement fichés dans la terre sablonneuse. Une légère butte à la base des murs devrait empêcher la pluie de créer un marécage à l'intérieur de l'habitation. Mais lorsque les pluies sont trop fortes, celles-ci lessivent le bas de murs, et font vaciller l'ensemble. Certaines huttes gardent par la suite, une assise étrange. Pour cette raison, les kunas les plus riches adoptent une construction mixte. Sur une dalle de béton, ils construisent des murets de 50 centimètres de hauteur. Puis le reste de la maison sera monté traditionnellement autour de matériaux tels le roseau ou la palme.

Roy, un cousin de Reynaldo explique admirablement bien la construction des huttes traditionnelles. Il possède des schémas extraordinaires donnant le nom kuna de chaque poutre, de chaque appentis... C'est un vieux monsieur qui consacre une partie de sa hutte à un petit musée. Là, par des dessins et des cultures il consigne tout ce qu'il sait sur la culture Kuna. Des tableaux peints à l'aquarelle, représentent la musique et les instruments kunas, la création du monde... Ses peintures sont aussi un hymne à la révolution, une dénonciation des pratiques esclavagistes des Espagnols. Il retrace peu à peu la genèse et l'histoire des Kunas. Roy m'apprend, par exemple, qu'il y eut une seule femme cacique. Celle-ci se nommait Olonague Kiryae. L'événement se passe il y a plus de 500 ans, avant l'arrivée des Espagnols. Roy nous explique que Olonague s'est présentée à une époque où la corruption anéantissait le rôle véritable des caciques de l'époque. Elle a remis de l'ordre dans la société kuna. Mais par la suite, plus aucune femme ne fut élue à la tête du peuple Kuna. Lorsque je demande à Roy, si l'on peut dire que leur société est matriarcale. Il sourit et dit gentiment,mais fermement :
"Ici, ce sont les hommes qui décident ! Voyons ! Voyons !"
Roy est patient et méritant, il n'a aucune ambition lucrative. Il demande une aide aux gens de passage pour son oeuvre. Mais il est animé par le désir de garder une trace de la culture ancestrale. Son désir le plus cher est que malgré les incursions de plus en plus fréquentes de la technologie en pays kuna, les jeunes persévèrent et maintiennent leurs valeurs.

Dans sa tâche, il s'aide de toutes les techniques figuratives. Par exemple, pour nous expliquer les rites funéraires ou la cérémonie de la roja, il a sculpté des figurines qui représentent les principales étapes du rituel.

Lors de ses premières règles, une jeune fille est enfermée pendant 4 jours dans une petite cellule de roseaux. Elle y est constamment baignée d'eau de mer. Durant cette douche cérémoniale, le restant de la famille s'organise. Les adultes et les garçons de la famille dansent dans les rues. Ils sont habillés de rouge et portent des colliers faits d'os ou de corail. Le père, pendant ce temps, fabrique un panier en feuille de pandanus. Lorsque le panier est terminé, il part avec ses fils ainés et le shaman dans la forêt. Ils vont cueillir le fruit d'encre noire. Au bout des quatre jours, la jeune fille sera enduite d'encre noire extraite de ce fruit.

Nous avons de la chance ! La famille d'Anaclétio vient de célébrer la cérémonie de la roja de leur petite fille. En tant qu'étranger nous n'avons pu participer aux festivités en direct. Mais un cousin d'Annaclétio venu tout spécialement de Panama City a filmé tout le déroulement de la cérémonie. Il nous montre tout cela sur le petit écran de sa caméra. Incroyables, les grands-mères que l'on voit d'habitude courbées sur le pas de la porte en train de coudre si sérieusement leurs mollas, sont complètement dégingandées. Le village, d'ordinaire si calme, résonne de bruits dissonants. Une musique approximative et assourdissante s'élève partout dans les ruelles. Des flutes de pan tentent d'accompagner des percussions mal accordées de timbales en fer. Les vieilles femmes en rouge affublées de longs colliers d'os qui couvrent toute leur poitrine, sautent maladroitement. On les dirait ivres, mais paraît-il qu'elles n'ont rien bu.

Plus étonnant encore, lors du dernier jour, lorsque les hommes partent dans la forêt avec shaman. Ils tombent nez à nez avec un jaguar. Nous voyons en effet, des grosses pattes pendant de chaque côté d'une grosse branche de l'arbre à fruits d'encre noire. Ce gros chat d'un mètre soixante de long et de plus de cent cinquante kilos se déplace prestement de branche en branche. De ses grosses pattes, il fait des gestes, un peu comme un chat qui joue avec une pelote de laine. Ses "miaulements" n'ont rien d'un gentil matou. Il exprime son mécontentement par des cris rauques et graves. Impressionnant !

Ce genre de cérémonies se clôture en général par une "fête de la Chicha". La chicha est une boisson alcoolisée à base de canne macérée que fabriquent les initiés. La canne est pressée entre deux rondins de bois. Les femmes sautent sur un balancier situé à l'extrémité de la presse. Exercice physique qui demande un certain esprit d'équilibre... La canne pressée sort un jus qui est récupéré dans des jarres de terre cuite. L'initié du village garde chez lui le breuvage pendant 12 jours. Il le goûte chaque soir, pour vérifier l'évolution de la boisson. Lorsque la chicha est prête, la fête peut commencer. Reynaldo nous précise que s'il faut 12 jours de préparations, deux verres suffisent à être ivre.

Les Kunas, en effet, boivent très peu d'alcool. En général, pour préserver la sérénité des villages, les sahilas ne permettent aux hommes de boire que le samedi et seulement de la bière. Quant à la chicha, elle est exclusivement réservée aux grandes occasions qui sont : la commémoration de la révolution (le 21 février), la pose de l'anneau d'or aux narines des petites filles, la cérémonie de roja et le mariage. S'ajoutent à ces grands rendez-vous, l'élection des petites reines et la célébration de certains anniversaires. Par exemple celui des petites filles. En ce qui concerne les fêtes familiales, la décision revient entièrement au père de famille. C'est lui qui déterminera à quel âge la petite fille aura sa grande fête d'anniversaire. Souvent ces fêtes coûtent cher et la décision sera prise en fonction de l'état général des finances familiales. Pour aider les familles, des quêtes sont organisées. Au moment où nous sommes au village, les petites filles viennent à nous avec une petite tirelire de carton. Au mois de mai aura lieu l'élection des petites reines. La plus jolie petite fille de 7 ans accèdera au trône pour un an. De belles fêtes en perspectives !

Ces fêtes ont lieu dans l'Ina Kaipi. ou "casa de la chicha". C'est une sorte de salle des fêtes. A Ailigandi, la communauté est en train de construire une nouvelle Ina Kaipi. Les villageois en sont fiers. La hutte très vaste permet de regrouper tout le village. Pour les fêtes communautaires, l'entrée est payante. Qui ne s'acquittera pas du droit d'entrée en sera exclu. Pour les plus grandes fêtes les femmes s'entendront entre elles pour présenter une tenue traditionnelle commune. Là aussi, celle qui n'aura pas fini ses mollas de cérémonie à temps, n'aura pas accès à la fête. En général la décision de la tenue appartient aux femmes. Elles se réunissent dans "leur" congresso qui se nomme Nana Durwanasob. "Nana" en Kuna pour "maman". Les mères du peuple se réunissent régulièrement. Outre l'élection de la tenue à la prochaine fête du village, elles décident des tâches de chacune.

Nous nous demandions comment les kunas se débrouillaient pour maintenir leur village propre. Cette responsabilité revient aux femmes. Lors de leur réunion, elles établissent un cahier des charges qui permet d'assumer l'entretien du village à tout niveau. Quand elles ne disposent pas d'un local spécifique, mais elles se réunissent dans le congresso chaque samedi matin. S'il y a désaccord entre elles, la décision finale revient au sahila.

Après plus de 3 semaines "d'école" à Ailigandi, nous disons "au revoir" à nos amis. En cadeau d'adieu, je remets à Roy, ma palette d'aquarelles afin qu'il continue sa belle oeuvre. Pour Reynaldo, nous avons des livres en anglais. Son cousin, Praxelès veut se lancer dans l'hôtellerie. Sur les petits îlots environnants, les familles les plus riches établissent des "huttes d'accueil" pour les étrangers. Ils offrent des séjours pour un prix qui encourage les ambitieux : un couple et deux enfants en bas âge payent 800 dollars pour 3 jours de séjour dans un confort douteux. Nous comprenons qu'à ce tarif-là il veuille se lancer, lui aussi. Il reçoit donc un dictionnaire espagnol anglais pour parfaire son bilinguisme et être engagé bientôt.

Par un beau soleil, nous revenons vers Ustupu. Là nous retrouvons nos amis Isabel, Yoanne, German et Alek. Ce dernier est le peintre de la galerie d'art d'Ustupu. Il sait que je suis curieuse de toute la culture kuna, que j'ai une soif d'apprendre. Il nous prête un magnifique livre sur les communautés indiennes de Panama. Il nous fait également cadeau de son temps. Toujours le sourire aux lèvres, il passe des heures à nous expliquer tous les pans de la culture kuna mais aussi sa perception du monde. Il nous montre également sa méthode de travail. Il peint vite afin de rendre toute la spontanéité des visages. Il donne ainsi un éclair à son message.

Lorsque nous revenons sur Ustupu, Alek nous attend de pied ferme. Non pour récupérer son livre, mais il est visiblement impatient de nous revoir. Il vit pas loin du petit quai où nous laissons l'annexe. Dès notre arrivée nous entendons :
"Natalia y Domingo... Bienvenudo... Adelante"
"Nathalie et Dominique, bienvenue, ... Entrez"

Lorsque nous pénétrons dans son atelier, il nous montre, sa dernière oeuvre : L'Etoile de Lune sous voile, peinte à l'huile, sur une plume d'Urubu. Cadeau d'un artiste kuna sans pareil qu'est Alek De Leon Perez. Aujourd'hui il remplit d'émotion le carré du bateau...

Nous devons un grand merci à tous ceux que nous avons rencontrés en Kuna Yala : Nuelia, Isabel, Alek, Lucie, German, Romulo, Reynaldo, Roy, Analida, Anaclétio, Rosalia, Lino.... grâce à eux, nous avons découvert l'âme kuna. La vraie ! C'est un cadeau de voyage inestimable.

Amitiés marines
Nat et Dom de L'Étoile de Lune

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