Objet : Randonnée et village historique de Vaitahu. A la recherche des temps perdus de Fenua Enata. Les Marquises d'aujourd'hui et l'archipel du temps des Maohis... Les conséquences de la venue des Européens.
Bonjour,
Il ne faudrait venir aux Marquises qu'entre 25 et 35 ans. Avant on n'a pas assez d'endurance, après, la limite d'âge des gambettes est dépassée et à la place d'une bipédie, il conviendrait de se munir de la force motrice d'un gros 4x4. Les Marquisiens ont bien saisi: dès qu'ils sortent de leur jardin, c'est en voiture! Il n'y a plus de chemin de mules, mais des doubles voies en terre battue, interrompues de parcelles bétonnées.
Dom, lui adore grimper, monter, gravir... Dès qu'il voit une colline, un mont, une montagne, il est heureux.
Nous nous hasardons, donc, à pied sur les chemins de ces îles escarpées. Amateur de solitude, il est comblé, à part une grosse voiture tout-terrain, en une journée entière de marche, nous n'avons côtoyé que les oiseaux et la flore très variée qui s'agrippe à ces «maudites» montagnes. (Là c'est le Mouss' qui parle, excusez-le de temps en temps il fait dissension). Je ne trouverai pas le réconfort en observant les mythiques chevaux sauvages. Plus la peine de les chercher, un insulaire nous a dit qu'il n'en restait plus:
«Nous avons tout mangé» a-t-il ajouté. (Humour pour brocarder les touristes?) Toujours est-il que nous ne croisons pas un seul cheval qui n'ait de longe au cou.
Lorsque nous quittons le village de Hapatoni, nous ne savons pas exactement à quelle distance se trouve le village suivant de Vaitahu. Plus forte que notre ignorance, nous trouvons l'approximation marquisienne. Brel disait «Aux Marquises, le temps n'a pas de prise»... et les distances non plus! Quand nous demandons combien de temps il faut pour aller au village de Vaitahu. Ils disent : «c'est juste derrière le "monticule"».
Un «monticule» n'a jamais effrayé personne. Seulement, les divers promontoires à gravir sont appuyés sur des monts de 1000 mètres. Vus de la mer, les premiers sommets paraissent dérisoires. Mais sur place il y a de quoi entendre son coeur dans son chapeau! Bref, il nous a fallu pas moins de 5 heures de marche (aller-retour) sans faiblir dans un dénivelé que personne ne prend la peine de chiffrer, car peu s'y attaquent à pied.
Nous marchons sur un tapis de mangues. Personne ne les ramasse et des bouquets de manguiers jalonnent toute la route. Il y a les cocos aussi. Attention la tête! Quand on entend une déflagration, ce n'est pas un cochon pour dîner, mais une coco qui se fracasse sur le chemin. Des odeurs de mangues fermentées se mêlent aux effluves rances de coprah qui sèche à la sauvage.
Le bord de route est un réel jardin potager.
Toutes les collines appartiennent à quelqu'un. Nous avons rencontré un couple propriétaire de 60 hectares de cette forêt nourricière. Ils ne peuvent récolter tout ce qui se reproduit sur les pentes escarpées. Alors, au moment où nous les rencontrons ils plantent pamplemoussiers et bananiers au bord de la route. Pour les premiers, il faudra attendre 6 ans avant de récolter les fruits juteux. Ils se plaignent néanmoins du manque de respect des habitants. Tous savent à qui les fruits appartiennent, mais souvent les régimes de bananes ont disparu avant que le propriétaire ait l'occasion de les ramasser. Ils ne semblent pourtant pas malheureux et sur la quantité produite, la majorité doit leur revenir leur belle voiture en témoigne.
Tout au long du chemin, outre les mangues par millions, les régimes de bananes, les papayers, les pamplemoussiers, citronniers et orangers, nous trouvons sur le sol des kilomètres de lianes de courges, de citrouilles, de melons et de pastèques. Certains légumes sont si gros, qu'ils nous paraissent proches d'exploser.
En route nous longeons le repaire des Noddy ou sternes moines. Nous avons croisé ces oiseaux pour la première fois aux Roques (Venezuela). Nous n'avions jamais eu l'occasion de les voir nicher. Ici, ils ont le choix, la nature est si vaste qu'il faut vraiment prêter attention à eux, pour les discerner dans la canopée.
Le village de Vaitahu est logé au fond d'une très belle vallée. Deux cratères à demi déployés vers la mer s'évasent vers le clocher de pierre de l'église. La baie est parfois soumise à de violentes rafales. On peut suivre à l'oeil nu le passage du vent, dont les sillons sont incrustés dans la montagne. Les ombres des nuages se jouent des plissures des flancs abruptes. Le soleil fait briller des chaînes de facettes végétales.
A peine met-on le pied au coeur du village qu'on y ressent toute l'ampleur de sa tranquillité. Les habitants sont souriants, un brin oisifs. Ils nous permettent de prendre des raccourcis et de passer au travers de leur jardin pour atteindre la boulangerie avant que celle-ci ne ferme. Dom va bon train jusqu'à elle, tandis que je m'arrête en chemin. Tout d'abord à l'église dont le vitrail de facture naïve, mais d'une luminosité divine me subjugue. Puis à l'école, où pendant l'heure de midi, les surveillants occupent toute l'énergie des bambins à chanter. Ils s'y prêtent de bon coeur, et nous avons droit à un concert de chants marquisiens qui efface toute la peine que nous nous sommes donnée pour venir jusqu'ici.
A côté du patio où les enfants chantent, un petit musée et des plaques commémoratives nous rappellent que c'est ici, que l'histoire des Européens débute et que l'aventure maohie s'achève.
Les prémices de cette fin apparaissent dès qu'Alvaro Mendena pose l'ancre dans la baie le 24 juillet 1595. Sans aucune considération pour les Maohis en place depuis plus de mille ans, il baptise ces îles de noms espagnols à connotations bibliques : «Santa Christina, Santa Dominica... » et que sais-je encore?
C'est un peu, le principe du chien qui laisse son odeur sur l'arbre où est passé son prédécesseur. Bref, l'archipel est nommé «Marquises». Pourtant, il portait, avant leur venue, un bien joli nom : «Fenua Enata» (Terre des Hommes)
Mendena ne se contente pas de changer les noms. Quand les indigènes, curieux abordent son navire et demandent aux soldats à quoi sert ce qu'ils ont dans les mains (mousquets). Mendena, fait une démonstration par l'exemple et tire comme deux lièvres, un homme et son fils qui pagayent dans leur pirogue. Et puis, si cela ne suffisait pas, un jour où les hommes de Mendena sont de corvée d'eau à terre, des rires jugés insolents engendrent des salves de mousquets. Et voici, le premier massacre d'indigènes en direct, avec environ «soixante-dix» personnes sans vie jonchant le sol.
Hé bien... pour un premier contact, les Maohis ont dû trouver que ces êtres casqués étaient plus sauvages que leurs propres cannibales !
Heureusement, Mendena ne trouvant pas d'or et aucun intérêt à ces îles improductives poursuit sa route, et laisse le territoire en paix jusqu'au suivant «découvreur». James Cook, lors de son second voyage, arrive le 6 avril 1774, dans la même baie de Vaitahu. Pourtant qualifié d'humaniste, Cook n'a pas planté l'ancre depuis une heure qu'un de ses hommes allonge par un usage «incontrôlé de mousquet» un père qui pagaye avec son fils dans sa pirogue.
Trois - Zéro, la balle est au centre, à qui le prochain but?
Un Espagnol, un Anglais... que manque-t-il? Un Français ! Il arrive en 1838, sur sa «Venus», il se nomme Dupetit-Thouars (on ne peut plus français ?). Celui-ci évite de faire parler les mousquets, mais il laisse les prêtres évangéliser. L'arme est plus redoutable que la poudre. Elle ne tue pas les hommes, mais leurs coutumes et leur mémoire. Cela je vous l'ai déjà dit, mais je le répèterai encore!
Dès le début du dix-neuvième siècle, les Maohis sont frappés de deux fléaux qui déciment la population en moins d'un siècle : les maladies importées par les nouveaux occupants et l'alcool.
Nous reviendrons plus tard sur ces deux sujets, je vais vous laisser digérer ceci pour aujourd'hui.
A plus pour d'autres nouvelles du bord et d'ailleurs...
Nat et Dom
www.etoiledelune.net
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