Congé d'école - Raison : Tsunami
30 sept 09
Ile de Nuku, Tonga, Pacifique sud
Il est un peu plus de 08h00, on se prélasse au lit, respectivement plongés dans nos rêves, nous laissant bercer par le chant des baleines entendu pendant une bonne partie de la nuit. Les enfants déjeunent tranquillement. Puis ils entendent des cris du bateau voisin, Anne-Gaëlle du voilier ami Graine d'Etoile somme les enfants de réveiller leurs parents.
On est vite tirés de nos rêveries lorsque tout d'un coup on entend les enfants nous crier. vite vite vite. Venez voir, il y a du gros courant et des vagues. On accoure, chacun de notre côté, essayant de focuser et de comprendre ce qui se passe. La quinzaine de bateaux que nous sommes sont en train de quitter le mouillage.
Je commence les procédures pour lever l'ancre, un des deux moteurs décide qu'il ne veut pas démarrer, René descend dans le compartiment moteur et réussit à partir le moteur. Je poursuis mes manouvres et réussis à retirer la patte d'oie mais la chaîne tire dans tous les sens. Il y avait des courants de 10 noeuds au moins qui changent de bord aux trois minutes environ, à l'endroit où nous nous trouvons. La pression sur la chaîne est immense et il est impossible pour René de contrôler le bateau avec les moteurs, ce sont plutôt les vagues qui contrôlent le bateau.
René n'arrive pas à nous diriger de manière à ce que je puisse relever l'ancre, ça tire, ça tire, je continue d'essayer de lever mais le guindeau électrique force sans succès. Puis, la chaîne part d'un bond et sort à la fois du guindeau et du davier et se met à filer sans fin sans que je puisse la rattraper, ça va trop vite et c'est trop puissant pour que je puisse penser l'arrêter ou la ralentir de mes mains nues. Résultat, les 300 pieds de chaîne sont maintenant sortis. Puis on se met à cogner dans les coraux.
Bang on essuie un coup sous la quille de tribord, puis bang et rebang. C'est la panique générale à bord. On perd le contrôle, Catherine pleure et est hystérique, les enfants ont peur, on ne comprend pas ce qui se passe. On n'arrive pas à remonter la chaîne de l'ancre, ça continue de tirer, on se fait engloutir dans un tourbillon d'eau.
Il ne reste qu'une solution, soit celle de laisser aller l'ancre. Je voudrais bien accéder au 'schackle' pour le dévisser et ainsi libérer l'ancre mais ce dernier est dans le puits d'ancre et je n'arrive pas à ouvrir la porte du compartiment de l'ancre car la chaîne en bloque l'accès. Tout veut arracher, la porte est en train de casser sous la pression, la base de l'énorme poutrelle (structure d'aluminium en 'A' à l'avant du bateau) est en train de tordre et de littéralement déchirer, le fibre de verre se gruge un peu partout sur le pont et sous la ligne d'eau sous la friction de la chaîne, des morceaux arrachent.
A la fin c'est l'ancrage de la chaine au fond du puits d'ancre qui cède. Un gros morceau de fibre de verre laminé, d'un pied carré, arrache avec son ancrage. Les enfants accourent avec une scie à fer et je me mets à scier un maillon de la chaîne. Pas facile avec notre super scie toute rouillée, il ne faut surtout pas que la lame casse, ce serait bien le bouquet.
Les enfants courent partout, apportent, marteau, pinces, ciseaux. A force d'efforts qui paraissent durer une éternité, René vient me seconder et on finit par en venir à bout. Heureusement, juste avant de lâcher la chaîne, alors que le tourbillon reprend de plus bel, on arrive in extremis à installer un orin, qui nous permettra plus tard ce matin de récupérer la chaîne abandonnée sous l'eau, et ce avec l'aide précieuse de Jacques (Alexandre IV) et Brian (Wasabi), dans leurs annexes respectives.
Bref, nous avons touché le fond à quelques reprises. Le sable a bien nettoyé les quilles. Nous avons touché quelques têtes de corail lorsque l'eau se retirait mais nous avons été très chanceux.
D'après une rapide évaluation du capt, qui est plongé une fois que nous avons été tirés de notre impasse, nous nous en sommes tirés avec seulement quelques égratignures. Tout le monde est en pleine forme, incluant notre équipier de passage (Peter le crabe de cocotier que j'entends gratter ce soir). Les enfants ont eu un peu peur sur le moment mais tout est de retour à la normale et ils ne pouvaient pas se plaindre ce matin de manquer de matériel pour pouvoir rédiger leur journal de bord. Je vous confirme que le capt a trouvé la bière bien bonne sur l'heure du dîner.
Des quinze bateaux que nous étions, il y aussi eu le voilier Monkey Feet (un voilier Canadien avec 3 enfants), qui l'a échappé bel comme nous. Ces derniers, à un certain moment, étaient poussés contre un corail et étaient carrément couchés sur le côté dans l'eau. C'est que nos deux bateaux étaient situés exactement au beau milieu de la passe, nous avons donc subi le pire des sursauts du tsunami.
Tout comme nous, ils ont également dû laisser aller leur ancre mais eux sans orin. A cinq hommes, ils ont réussi à récupérer leur ancre aussi mais la chaîne étant coincée sur un énorme morceau de corail, ils ont dû mettre une grosse heure et demie d'efforts pour en venir à bout. Nous avons entendu Casey, le capt de Monkey Feet, contacter un ami navigateur médecin plus tard dans la journée pour lui demander de lui suggérer un petit calmant quelconque car il était encore sous le choc et n'arrivait pas à se calmer de ses émotions.
Et dire que la nuit d'avant, nous avions laissé nos quinze enfants coucher seuls sur la plage dans des tentes sans aucun parent. Ce matin, la plage était complètement inondée et ce n'est pas peu dire. Nos enfants seraient partis à la flotte, les tentes et tout. Disons que sortir de là aurait été une opération légèrement plus compliquée. Le plus drôle dans tout ça c'est que certains bateaux, un peu plus à l'écart dans ce mouillage, n'ont absolument rien ressenti de tout ceci car ils se situaient à la limite du tourbillon généré dans la passe où nous nous trouvions. Nous avons appris plus tard, via le réseau de radio locale que, ce que nous avions vécu, était un incident isolé résultant de tremblements de terre évalués à 8 sur l'échelle de Richter. Ces secousses sismiques ayant pris naissance à 180 km au sud-ouest des Samoa, elles-mêmes situées à quelques 320 miles nautiques de notre position. Merci également à Nycole du Réseau du capitaine ainsi qu'à Luc pour les précieuses informations sur la situation plus spécifique ayant entouré les événements de ce matin.
Inutile de dire que nous avons décrété la journée comme congé d'école forcé, au grand déplaisir de la directrice, non pas pour une tempête de neige comme nous en avons l'habitude, mais pour raison de tsunami! Je me suis contentée d'exiger des enfants une rédaction de leur journal de bord respectif ainsi qu'une période de lecture obligatoire. Mais dès demain la routine reprendra de plus bel, tout comme les classes.
Pour ce qui est du reste, et bien nous sommes aux Tonga depuis vendredi dernier et non jeudi car mentionnons que nous avons perdu une journée de notre vie en raison du 'international date line' ou ligne de date internationale. Je rédigerai prochainement un récit parlant de nos premières impressions et décrivant nos premiers jours dans les Tonga.
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